Le made in Europe sera moins cher pour quelques produits alimentaires, comme les produits de la pêche ou les chocolats. Cela suffira-t-il à faire avaler la pilule, forcément amère, du démantèlement tarifaire, qui commence devant l'assaillant européen ? Il faudra sans doute plusieurs semaines, peut-être deux à trois mois, avant que les premiers effets de l'entrée en vigueur, jeudi dernier, de l'accord d'association avec l'Union européenne (UE) ne produise ses premiers effets, doux ou sévères, sur la vie des Algériens. C'est l'avis dominant chez les opérateurs du commerce extérieur. Et quels seraient donc ces effets ? Le gouvernement et les promoteurs de l'accord d'association insistent sur la baisse des prix de nombreux produits venus de l'UE ou utilisant des matières provenant de l'UE. Les entreprises nationales publiques ou privées, les représentants syndicaux alertent l'opinion sur la concurrence « très agressive » qui leur est faite par des produits européens exemptés de tous droits de douanes. Ainsi, l'Enasucre pourrait - selon la fédération de l'UGTA de l'agroalimentaire - perdre jusqu'à 1000 emplois par la faute d'un contingent annuel de 150 000 tonnes de sucre roux à taux zéro - le tiers peut être importé pour les quatre derniers mois de l'année 2005. Entre baisse des prix à court terme et suppression d'emploi à moyen terme, il faudra donc attendre pour voir ce qui déterminera l'ambiance de cette entrée en territoire de libre-échange avec l'UE. Pour Mouloud Hédir, expert en commerce international, ancien directeur de l'Observatoire du commerce extérieur et auteur d'un ouvrage sur l'accession de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'architecture de l'accord d'association « est faite de sorte à ce que le début soit agréable pour les pays du Sud qui opèrent un démantèlement de leurs barrières tarifaires, c'est un peu comme le morceau de sucre que l'on donne au début ». Fathi Chamakhi, professeur d'économie à Tunis, le confirme. Il se souvient qu'il n'y a pas eu « d'effet de choc tout de suite en janvier 1996 » lorsque l'accord d'association est entré en vigueur en Tunisie. « Le terrain avait été balisé par le plan d'ajustement structurel appliqué depuis 1987 ». Il se rappelle même qu'au début, l'exemption de frais de douanes a aidé à « démocratiser » la consommation de certains produits, comme les laitages, les fruits ou les produits d'entretien importés de l'UE. C'est après que les effets se sont fait ressentir sur le tissu des PME tunisiennes, notamment celles qui travaillent sous licence et qui étaient bousculées par les taux préférentiels des produits européens. C'est ce que Mouloud Hédir appelle « la lame de fonds des cinq-sept ans », le seuil à partir duquel le démantèlement progressif des tarifs des autres produits industriels, tous ceux qui n'étaient pas concernés à l'an un, commence à se faire ressentir sur la compétitivité des entreprises locales. Et pour cause, si 2327 lignes tarifaires ont connu une réduction totale (2161) ou partielles et/ou sous limite de contingents (166), il faut savoir qu'il existe 6069 lignes tarifaires dans la nomenclature des douanes. « La lame de fonds » se situe donc vers 2011, année où les frais de douanes d'un micro-ordinateur, d'un moteur électrique, d'une console de jeu, d'un véhicule automobile, d'un fauteuil dentaire ou d'un chariot-élévateur tomberont sous les 10% - 6% pour être précis. Autant de produits taxés à 30% aujourd'hui. Menu léger européen à 0% de frais de douanes L'entrée en application de l'accord d'association avec l'UE, un non-événement économique à ses débuts ? Peut-être pas tout à fait. Les produits européens intégrés dans la liste de concession immédiate ne concurrencent pas - ou fort peu - la production nationale. Ce qui tempère pour l'heure le choc de l'ouverture. Par contre, leur prix au détail devrait baisser quelquefois significativement pour le consommateur final dans le cas des produits agricoles transformés ou des produits de la pêche. Exemple : les poissons frais ou réfrigérés pêchés en zone UE ou par des opérateurs européens peuvent, dès cette semaine, être vendus sans taxe de douanes sur le marché algérien. C'est le cas du saumon rouge, pour ceux qui aiment, mais aussi pour les poissons fumés. La bonne nouvelle est donc par là. Il est désormais possible, pour les bourses moyennes, de concocter un menu léger en produits européens libres d'échange si l'on accompagne son poisson sans taxes d'une soupe préparée (0% de frais de douanes), de frites (pomme de terre fraîche à 0%), d'un dessert fruit ananas (0%), le tout agrémenté - pour les très festifs - d'une liqueur à faible taux d'alcool et à taux de douanes encore plus faible (0%). Le tarif douanier de ces produits - et de bien d'autres dans les deux listes des produits agricoles et produits agricoles transformés - étaient de 30% jusqu'au dernier jour d'août 2005. Coûteront-il 30% moins chers dans le proche avenir ? « Sûrement pas autant, car certains produits sont contingentés et d'autres connaissent des quasi monopoles d'importateurs », estime Ahmed, grossiste à Blida. Tout le monde l'aura donc compris, c'est dans la branche de l'agroalimentaire que cela va tanguer en premier, accessoirement dans certaines filières agricoles comme celles qui produisent les viandes (rouges et blanches), les fruits, les plants ou les huiles. Deux parachutes ralentissent le choc. Les taux de douanes actuels sont souvent déjà bas (5% par exemple pour le lait) ou s'il sont plus élevés, la baisse n'est que de 20% pour les produits les plus exposés, mais surtout il existe des contingents d'importation annuels au-delà desquels ces produits ne bénéficient plus de l'avantage tarifaire. C'est la raison pour laquelle Mohamed Chami, président de la toute nouvelle commission technique de suivi de la mise en œuvre de la zone de libre-échange avec l'UE, se montre rassurant sur les effets immédiats de l'accord (voir entretien). Les gaufrettes ou les chocolats provenant de la zone UE resteraient donc toujours de meilleure qualité et toujours plus chers lorsqu'on leur réduira de 20 % leurs taxes douanières pour un quota qui ne dépasse pas un mois de consommation nationale. Est-ce vrai pour tous les produits concernés ? Les modes de consommation pour des revenus intermédiaires ne risquent-ils pas de changer si l'on peut obtenir un produit made in Europe pour quelques dinars de plus seulement ? Attendre et voir... Exportations vers l'UE, taux zéro à volonté La grande affaire de ce 1er septembre 2005 est toutefois ailleurs que dans les barres énergétiques chocolatées. 2076 produits industriels d'origine européenne tombent au taux zéro et peuvent être importés en illimité. Il s'agit essentiellement de matières premières ou d'intrants, mais pas seulement (bois, papiers) . Il en est attendu un bénéfice net pour toutes les filières qui les utilisent dans leur activité de transformation. Ainsi la baisse des tarifs douaniers des, entres autres, cuirs bruts, matières textiles ou produits chimiques devraient se faire sentir sur les coûts de production des produits finis qui en usent. Mais également sur les prix de vente ? La aussi rien n'est acquis. Et personne ne s'avance pour l'affirmer du côté des promoteurs de l'accord d'association. L'idée dominante est donc que le risque d'étouffement de la production algérienne par la faute du démantèlement tarifaire est faible parce que les produits européens ne jouent pas dans la même gamme que les produits algériens et c'est dans leur destin d'y demeurer. C'est cette pensée que traduit de manière fort peu diplomatique M. Guerrato, l'ambassadeur de l'UE à Alger, lorsqu'il affirme (entretien à « El Khabar ») que l'Algérie ne peut pas devenir producteur d'automobiles, mais peut produire des pièces qui vont dans les automobiles. Voilà qui amène à parler des exportations hors hydrocarbures. Depuis le 1er septembre dernier, les opportunités de placer des produits algériens sur le marché européen se sont élargies de trois longues listes de produits agricoles, de produits de la pêche et de produits agricoles transformés à taux nuls, réduits ou contingentés. La polémique qui enfle sur le contingent de sucre roux européen importé à taux zéro montre bien que les importateurs algériens sont déjà à la manœuvre sur les listes des matières européennes bénéficiant d'avantages tarifaires. M. Chami déplore un problème d'information chez les opérateurs algériens concernant l'accord d'association. On peut comprendre déjà que les opportunités pour exporter moins cher ne sont pas appréhendées par les entreprises algériennes avec la même célérité que celle pour importer moins cher. « Ce sont souvent les normes européennes qui font peur », explique un ancien exportateur de câpres, qui redoute toujours l'épreuve du calibrage. Depuis l'accord de 1976, l'Algérie dispose d'un avantage préférentiel pour la totalité de ses produits industriels sur le marché européen par extension de cet avantage sur le seul marché français. Le 1er septembre 2005, de ce point, ne change rien. Le marché de l'UE était déjà ouvert devant les produits fabriqués en Algérie. L'inverse n'était pas vrai. On comprend mieux le nouvel accord d'association...