En bon fils de pasteur, R. W. Emerson (1803-1882) prend les ordres en 1829, mais se sépare de l'Eglise dès 1832 en déclarant : « The relations of the soul to divine spirit are so pure that it is profane to interpose help. » C'est la relation directe avec Dieu, celle qui refuse tout intermédiaire. Il continue ses prêches, mais sur des questions littéraires et morales. Il publie une série de ses conférences sur la nature qu'un critique a définies comme « (...) une tentative pour voir Dieu et la nature face à face, et non plus dans les yeux de la tradition et de l'histoire. » Ce volume peut être considéré comme l'évangile du transcendantalisme américain. Peu à peu, sa philosophie se précise : la supériorité de la conscience individuelle sur les croyances et les dogmes traditionnels, sur les Bibles et les églises. Le but de la vie étant de purifier l'âme humaine de tout élément sensuel et égoïste pour la rendre capable de s'unir à Dieu. Il y a dans son œuvre des phrases qui vous collent à l'esprit et le pousse au travail. J'ai retenu celle-ci en particulier : « (...) Il y a un temps de vérité dans l'éducation de chaque homme où il arrive à la conviction que l'envie est ignorance et l'imitation un suicide. » Et il ajoute plus loin : « Chacun de nous doit être un inventeur pour mieux lire (...), car il y a des lectures créatives comme il y a des écritures créatives. » Réalisations et créations ne sont possibles que pour ceux qui ont atteint une indépendance intellectuelle capable d'inventer. Où est le maître qui aurait pu enseigner à Shakespeare le génie ? Où est le maître qui a fait Bacon, Michel Ange, Newton,... ? Chaque grand homme est unique. « Obéissez à votre cœur et vous reproduirez le meilleur de vous-mêmes... », dira-t-il. Il est dit qu'Emerson est le premier écrivain américain à introduire l'idée de « self-reliance » (compter sur soi-même) et de l'indépendance intellectuelle. « Celui qui ne vit pas selon ses propres lumières (...) est déjà mort autant de fois qu'il est déloyal, infidèle, faux... », dira-t-il. Pour R. W. Emerson, celui qui voyage pour se divertir en recherchant le quelque chose qu'il ne porte pas en lui, fuit sa propre individualité et noie sa jeunesse parmi les vieilles choses. Il ne porte que ses ruines vers des ruines. Sa volonté et son esprit ne peuvent que vieillir et se disperser dans Thèbes, Palmyre,... Il faut préciser qu'Emerson était loin d'être cosmopolite. On dira même de lui qu'il était franchement chauvin. En clair, Emerson était exaspéré par cette perdurante influence intellectuelle de leurs anciens colonisateurs et ne cherchait qu'à convaincre la jeunesse américaine à s'en détacher. Il éprouvait carrément honte et gêne devant les imitations de tous genres. C'est ainsi qu'il reprochait à ses contemporains de rester à la limite de la pure narration et des « speeches » religieux et les incitait à aller au-delà de ces limites. Nous citerons dans cet esprit les fameux Tom Sawyer et Huckleberry Finn de Mark Twain, qui se détacheront par une langue des plus vernaculaire qui fera en grande partie son grand succès. La période Howthorn, Thoreau, E. A. Poe, Herman Melville, et bien d'autres, vit la naissance d'une écriture plus personnalisée. Entendre par là, plus américaine, plus authentique, exprimant des idées « courageuses », hardies. C'est la rupture totale avec les muses européennes, ce passé aliénable et aliénant qu'Emerson a combattu toute sa vie. « Ce n'est seulement que lorsqu'un homme arrive à chasser le support étranger et à tenir seul la route que je le vois fort et dominateur... » Son éloquence simple et si prenante et son style imagé, assaisonné d'humour aimable, ont réussi à convaincre son jeune auditoire que seule la vérité radicale peut les mener à un sentiment de volonté libérée de toutes conditions antécédentes, inclus tout raisonnement mathématique et exclus toutes émotions et sentiments. Cette liberté ne pouvant se faire que dans le rejet de toutes conditions formelles.Une dernière citation, juste pour la méditation : « L'inaction est couardise, et il ne peut exister d'érudit sans esprit héroïque. »