Rideau sur une campagne électorale bien particulière, menée à sens unique, sans débat contradictoire, au seul bénéfice des partisans du oui à la charte. En l'absence des arguments et de l'expérience douloureuse des familles victimes de la tragédie de la décennie 1990, le concept de réconciliation a perdu la richesse et la portée qu'il a eues sous d'autres cieux, notamment en Afrique du Sud. La déception a été grande, autant chez les familles de disparus que parmi celles qui ont souffert des islamistes armés auxquelles de surcroît a été infligé le spectacle de la réapparition dans les meetings et les médias d'ex-chefs terroristes qui ont justifié leurs actes passés et avoué ne rien regretter. Les islamistes ont dit être comblés par cette charte qui « réhabilite » leur soulèvement du début de la décennie 1990 contre le pouvoir politique : à leurs yeux, le texte sur la réconciliation est une sorte de mea culpa de l'Etat sur l'interruption du processus électoral en 1992 qui passe ainsi du registre du sauvetage de l'Etat républicain au « putsch » militaire. Quant à la décision d'interdiction des activités politiques des dirigeants de l'ex-FIS, elle est vue comme une mesure conjoncturelle. Le président du MSP, Bouguerra Soltani, membre influent de la coalition gouvernementale, a tenu à exprimer publiquement ce point de vue. Ex-chef terroriste appelé en renfort pour cette campagne, Madani Mezrag est allé plus loin en affirmant à l'agence Reuters que « l'objectif des islamistes est toujours l'établissement d'un Etat islamique en Algérie », ajoutant que « les conditions d'aujourd'hui sont meilleures que celles du passé ». L'islamisme politique a été également conforté par les invectives lancées par Bouteflika contre les démocrates durant sa campagne électorale. De son point de vue, ces derniers « ont jeté de l'huile sur le feu » durant la décennie 1990. Exit de leurs morts et de leur combat au bénéfice de l'Etat républicain. C'est pourquoi, dans le camp démocratique, des voix se élevées pour dénoncer cette charte et la qualifier de « coup de force » visant à impliquer la population, non informée des enjeux, dans la pérennisation du régime et dans la consolidation de l'islamisme politique. Le concept de réconciliation n'est, de leur point de vue, qu'un prétexte pour l'obtention par le président de la République de pouvoirs élargis que viendra asseoir définitivement une révision de la Constitution : celle-ci devrait mettre fin au bicéphalisme de l'Exécutif afin de faire du chef de l'Etat l'unique inspirateur de la politique gouvernementale. La voie serait ainsi ouverte pour un troisième mandat présidentiel. Les opposants à Bouteflika en sont convaincus, mettant en avant sa soif du pouvoir absolu. Cette étape devra intervenir une fois mises en œuvre les dispositions de la charte par le biais d'une batterie de lois et de décrets, une vingtaine de textes pour faire « descendre » des maquis le maximum de terroristes. Mais première interrogation : les terroristes répondront-ils à l'appel au pardon de la charte ? Les experts ne croient pas à une reddition importante, mettant en avant le caractère irréductible du GSPC qui a décidé d'agir sous la houlette d'Al Qaîda. Dès le départ, le groupe salafiste a annoncé son hostilité au projet présidentiel, multipliant depuis les attentats contre les forces de sécurité. Quelles conclusions tireront les autorités, après le 29 septembre, d'un échec de leur main tendue au GSPC, elles qui n'ont pas arrêté de présenter la charte comme un texte de retour « total et global de la paix » ?