Le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, soumis aujourd'hui à référendum, n'a pas fait l'unanimité au sein de la classe politique. Chacun y va de sa propre lecture. Les trois partis de l'Alliance présidentielle, une armada d'associations satellitaires et de comités de soutien ont pris à bras-le-corps l'initiative présidentielle. Même les anciens émirs terroristes ont été mobilisés pour prêcher les vertus de la réconciliation et appeler à un « oui massif ». L'opposition, a, par ailleurs, essayé de développer une contre-offensive à travers les colonnes de la presse privée et un travail de proximité laborieux. Cependant, parmi les pour et les contre, seuls les premiers ont eu le droit d'accès aux médias publics. Par conséquent, le débat contradictoire, principale revendication de l'opposition, a été le grand absent de la campagne électorale. Les plateaux de la télévision nationale n'ont accueilli que les juristes et les leaders politiques qui ont accepté de « servir la bonne cause ». Parallèlement à ce tapage médiatique à sens unique, les militants opposés à la charte ont été brutalisés, interpellés et arrêtés. Quels sont les arguments des uns et des autres ? Le texte de quatre pages portant « charte pour la paix et la réconciliation nationale » a été publié dans le Journal officiel, le 15 août dernier. Elaboré par un cercle très restreint de juristes dont les noms sont demeurés inconnus au public, le texte en question émet une batterie de mesures censée, dans l'esprit des initiateurs du projet, transcender la « tragédie nationale ». Le projet fait état de « l'extinction des poursuites judiciaires à l'encontre des individus qui se sont rendus aux autorités depuis le 13 janvier 2000, date de forclusion des effets de la loi portant concorde civile ». Le texte a prévu également « l'extinction des mêmes poursuites à l'encontre de tous les individus qui mettent fin à leurs activités armées et remettant les armes en leur possession ». Toutefois, cette mesure ne s'applique pas aux individus impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics. Il s'agit également « des grâces pour les individus condamnés et détenus pour des activités de soutien au terrorisme ainsi que les individus condamnés et détenus pour les actes de violence ». Des commutations et remises de peine sont annoncées au profit de « tous les autres individus condamnés définitivement ou recherchés, non concernés par les mesures d'extinction de poursuite et de grâce ». Dans un autre chapitre, il est souligné que « le droit à l'exercice d'une activité politique ne saurait être reconnu à quiconque ayant participé à des actions terroristes et qui refuse toujours de reconnaître sa responsabilité ». Dans le chapitre consacré aux mesures d'appui à la politique de prise en charge du dramatique dossier des disparus, il est indiqué que « ce dossier retient l'attention de l'Etat, depuis une décennie déjà, et fait l'objet d'une attention particulière en vue de son traitement particulier ». Le projet met en exergue « trois dispositions destinées à favoriser le règlement définitif de ce dossier que sont la prise en charge du sort de toutes les personnes disparues dans le contexte de la tragédie nationale, la prise de toute mesure permettant aux ayants droit des personnes disparues de transcender cette épreuve dans la dignité et considère les personnes disparues comme victimes de la tragédie nationale et leurs ayants droit ont droit à réparation ». Opposition et réserves Qualifié de « programme pour les crises à venir » par le RCD, de « tsunami populiste » par le FFS et « de forfaiture qui laisse les plaies béantes » par le MDS, la charte a été rejetée dans le fond et dans la forme par l'opposition. Interrogés, plusieurs analystes et juristes ont exprimé des réserves à son sujet. « Quand on parle de massacres collectifs, je pense aux massacres individuels. Qu'en est-il de celui qui a tué une personne ? Et à partir de quand commence le massacre collectif ? Est-ce que le fait d'assassiner deux ou trois personnes est un massacre collectif ou non ? D'autre part, quand on parle des explosions dans les lieux publics, pourquoi on ne parle pas d'explosions dans les lieux privés ? » Ces interrogations, qui sonnent comme des circonspections, ont été faites par le professeur Mohand Issad dans un entretien publié par El Watan. Ancien bâtonnier et avocat à la cour, Maître Tayeb Belloula, pour sa part, a apporté d'autres éclaircissements. « Qui peut affirmer que tel ou tel individu n'est pas impliqué dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics ? » s'est-il interrogé. Selon, Maître Boudjemaâ Ghechir, président de Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), « la charte a sacrifié le droit pour répondre à une exigence politique et elle a bafoué le droit national et international ». Maître Ali Yahia Abdennour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), est du même avis. Plus critique, Maître Mokrane Aït Larbi, avocat et militants des droits de l'homme, a déclaré dans les colonnes du journal que « la charte vise une réconciliation entre le pouvoir et les islamistes pour régler les problèmes de pouvoir ». « Quant aux problèmes concrets et épineux du peuple algérien, a-t-il poursuit, ils sont renvoyés à la prochaine campagne. » Maître Aït Larbi a résumé les rapports entre les partisans du oui et ceux du non comme suit : « Ceux qui soutiennent le projet de charte même par opportunisme sont considérés comme des amis de la paix, et ceux ont une position différente sont considérés comme des ennemis à réduire au silence. »