Lorsque nous avions publié un article, dans El Watan du 22 décembre 2004, sur l'exposition au musée Pigorini de Rome des portraits faits par un photographe algérien des Aurès et que nous avions souhaité que ses descendants puissent en bénéficier, nous étions loin de nous douter que nous allions soulever une tempête, où les intérêts les plus inavoués se mélangent aux déclarations les plus inconciliables. Même l'ambassadeur suisse, en poste à l'époque, ne semble pas étranger à cette sombre affaire. Chafik Mansouri, pharmacien à Aïn Beïda et l'un des huit enfants de Mansouri, n'en revient pas des explications « contradictoires et déconcertantes » que les deux personnes que nous avions interpellées dans notre précédent article, le photographe suisse Armand Deriaz et l'écrivain Mohand Abouda, ont fournies jusque-là. Chafik réfute catégoriquement la déclaration de Mohand Abouda, ancien ami de son père décédé, qui affirme que les enfants de Mansouri « voulaient se débarrasser des archives de leur père pour moderniser le studio photographique ». Quant au document qui nous a été envoyé par Deriaz, signé le 6 juin 1995 et dans lequel le photographe algérien affirme « céder à son confrère Abouda les clichés réalisés durant sa carrière, à titre gratuit », non seulement les ayants droit de Mansouri affirment n'être pas en connaissance de l'existence de cette lettre, mais en réfutent même l'authenticité. L'été passé, contacté par le fils de Mansouri, nous avions soulevé une interrogation qui nous semblait justifiée, quant à l'usage non autorisé du patrimoine d'un photographe algérien, Lazhar Mansouri, dont le fils aîné nous avait contacté, suite à notre article paru dans El Watan du 1er septembre dernier. Nous étions alors loin de nous imaginer les contours inquiétants de cette histoire. Mohand Abouda, que nous avions interpellé dans notre dernier article, a répondu présent, et utilisant des mots très durs, il a parlé de « rapt culturel dans la pure tradition coloniale ». L'écrivain algérien, qui vit en Kabylie, va plus loin et accuse, « l'éditeur Armand Deriaz et Charles-Henri Farod, président d'une obscure ‘'association pour le patrimoine culturel algérien'', d'avoir profité de sa bonne foi, pour exploiter ‘'sans vergogne'' (il nous emprunte l'expression) les archives de Mansouri ». Selon lui, Deriaz et Farod seraient « des escrocs culturels et des escrocs tout court », qui n'en seraient pas « à leur première affaire ». Abouda affirme avoir coupé tout contact avec Deriaz et demandé « à tous les opérateurs concernés d'arrêter ce projet pour non-respect des clauses du contrat ». Il ajoute avoir « refusé toutes rémunérations, invitations ou prises en charge qui m'ont été proposées ». En guise de réponse à ces graves accusations, Armand Deriaz nous télécopie une trentaine de pages, dont la plupart sont couvertes d'articles parus sur les expositions qu'il a organisées à travers la Suisse, l'Italie et la France ; des photos de Mansouri, qui racontent des décennies de la vie des habitants de Aïn Beïda, un témoignage rare de notre histoire. Deriaz nous fait parvenir également les copies des bordereaux de réception des négatifs originaux de Mansouri, remis par Mohand Abouda, entre septembre 2002 et avril 2003, dans le cadre des contrats signés, dont le non-respect a été dénoncé par Abouda, entre les deux. Enfin, s'étalant sur sa virée, en compagnie de son ami Charles-Henri Favrod qui aurait « bravé les dangers de la révolution kabyle », Deriaz balaie d'une phrase sarcastique les accusations portées par le fils de Mansouri. Pour le Suisse, « la polémique autour de qui s'enrichit (titre de notre dernier article) est ridicule ». Mais les ayants droit de Mansouri ne l'entendent pas de cette oreille et comptent découvrir, par le bais de la justice, « qui est derrière cette dilapidation et détournement d'un patrimoine culturel algérien ». Chafik insiste et affirmer que pour sa famille, « c'est une question de principe, car trop de mensonges entourent cette affaire ». Vu la gravité des faits, le ministère de la Culture devrait s'en occuper, notamment pour découvrir qui est derrière cette fameuse fondation suisse qui se fait appeler Association pour le patrimoine culturel algérien. Comme si les Algériens n'étaient pas capable de sauvegarder eux-mêmes leur patrimoine.