Les yeux rivés sur l'un des portraits signés par le photographe des Aurès inconnu, même en Algérie, Lazhar Mansouri, une journaliste italienne s'exclame : « C'est incroyable. Je pensais que l'Algérie était un pays obscurantiste ! » Les photos de Lazhar Mansouri - sauvées du bûcher, auquel ce dernier les vouait pour s'en débarrasser, par son ami et confrère Mohand Abouda et emportées en Europe par l'artiste suisse Armand Deriaz - deviennent soudain plus pertinentes que n'importe quel discours ou campagne d'information pour ôter le voile de préjugés qui couvre les yeux des Occidentaux lorsqu'on évoque l'Algérie. La province de Rome, avec la collaboration du ministère des Affaires étrangères et de l'Observatoire de la Méditerranée, a organisé, en hommage au cinquantenaire de la guerre de Libération, une double exposition, d'abord dans la prestigieuse Casa delle Letterature (maison des littératures) et ensuite dans l'antique musée Pigorini de la capitale. Présentée lors d'une conférence de presse, à laquelle ont pris part l'assesseur de la culture de la province de Rome Vincenzo Vita, un représentant du ministère des Affaires étrangères, Arnaldo Colasanti, et Armand Deriaz, qui fut à l'origine de cette initiative, l'exposition a été l'occasion pour la secrétaire générale de la Conférence permanente de l'audiovisuel méditerranéen (Copeam), Alessandra Paradisi, et l'historien Nicola Caracciolo, ancien envoyé spécial en Algérie, qui nous racontera ému ses voyages à Alger, au lendemain de l'indépendance, pour plaider l'intensification des rapports d'amitié avec l'Algérie. C'est la première fois que des institutions italiennes s'intéressent à l'art algérien au point de consacrer deux expositions, en l'espace d'un mois, des œuvres du même photographe. La collection exposée fait partie de la série choisie par le photographe Deriaz, qui nous raconte avoir sélectionné 114 photographies parmi 10 000 pièces, mais, selon lui, la collection de Mansouri compte au moins 100 000 photos. C'est grâce au photographe algérien Mohand Abouda, qui a connu et côtoyé Lazhar Mansouri, que ces chefs-d'œuvre ont pu être admirés par les amateurs de la photo. Mansouri a découvert la photographie par hasard et, grâce à un photographe ambulant, Madjid, il a appris les secrets de cet art. Lorsque Madjid installa son laboratoire dans l'arrière-boutique d'un barbier, il fit de Lazhar son apprenti. C'était le début de la grande aventure de Mansouri avec la photo, qui sera interrompue, malheureusement, lors d'un accident durant lequel Mansouri perdit la vie. Abouda, l'écrivain et photographe qui vit en Kabylie, a déjà rendu hommage à son ami Mansouri en publiant dans son livre Aouchem, la mémoire à fleur de peau de magnifiques portraits de visages de femmes tatoués. Pour sa part, Deriaz souhaite que les responsables algériens pensent à « classer ces documents comme faisant partie du patrimoine culturel algérien ». Le coordinateur de l'Observatoire de la Méditerranée, le Tunisien Mohamed Aziza, annonce à l'occasion que Lazhar Mansouri a été nommé, à titre posthume, membre honoraire de l'observatoire. Les portraits de Mansouri ont déjà été exposés en Europe, notamment dans la Galerie Photo de Montpellier en juin 2003 et au Palazzo Reale de Milan en octobre 2003. Un recueil des photos de Mansouri, publié par les éditions Mazzotta et vendu à 20 euros, a été mis à la disposition des visiteurs. On peut y admirer les portraits de jeunes couples des années 1960 se tenant par la main ou s'embrassant, de visages expressifs de vieilles femmes tatouées, de vieux posant solennellement en burnous, de djounoud exhibant avec une pointe de visible fierté leur fusil, de jeunes en lunettes de soleil ou avec une guitare à la Elvis Presley... Des écoliers à la frimousse grimaçante de joie ou de jeunes femmes en habit traditionnel de l'Est algérien... Des morceaux de vie si fraîchement photographiés qu'il vous semble que ces personnes ont posé, hier, dans l'atelier de Mansouri. Espérons que les droits seront reversés à la famille de Mansouri, qui n'aurait jamais pensé, durant sa courte et modeste vie, pouvoir un jour vaincre les préjugés les plus tenaces sur l'Algérie à travers les plus prestigieuses galeries européennes. « Sur notre parcours, où nous ressemblons à des comètes discrètes, parfois une rencontre illumine notre chemin. Pour moi, Lazhar Mansouri fut une de ces lumières. » De cette rencontre est née une grande complicité entre artistes qui a poussé Mohand à promettre à Lazhar de poursuivre sur ses traces. « Je réalisais - par amour-propre partagé ou devoir de mémoire, tout est si difficile quand on fait une promesse - que je devais élaborer une œuvre sur ses documents. Mais je ne savais par où commencer. » Au regard de la réaction enchantée des visiteurs de l'exposition romaine qui, en passant et repassant devant les photographies de Mansouri, avouent « découvrir une autre Algérie », il n'y a pas de doute que Mohand a tenu parole...