Il est devenu presque sûr que ceux qui avaient décidé de lancer une guerre contre l'Irak, l'avaient fait en toute connaissance de cause. A l'époque déjà, analyses et mises en garde se succédaient pour prévoir cette guerre dans ses moindres détails et ses éventuels dérapages. Quant à dire que tout est sous contrôle, cela est une autre question. Mais quant à affirmer que l'Irak a été choisi comme champ d'expérimentation de théories guerrières et autres trouvailles politiques, il n'y a qu'un pas que malheureusement beaucoup n'hésitent pas à franchir. Mais en tout état de cause, les leaders en question disposent de tous les moyens, des hommes et des institutions dans leurs prévisions. Rien n'est laissé au hasard. Leurs services et leurs laboratoires produisent tout ce qu'il faut. A cet égard, rapportait hier le quotidien britannique Daily Telegraph, des documents secrets envoyés au Premier ministre britannique Tony Blair un an avant l'invasion de l'Irak l'avertissaient que l'Irak risquait de sombrer dans le chaos après-guerre. L'un des avertissements émane du propre ministre des Affaires étrangères de Blair, Jack Straw, qui avait prédit en mars 2002 que l'Irak d'après guerre était une source assurée de troubles importants. « Il semble que derrière tout cela nous attend un trou sans fin », écrit Straw dans une lettre, l'un des documents estampillés « secret » que le Daily Telegraph affirme avoir vu. Straw souligne que la plupart des analystes américains étaient favorables au renversement du régime de Saddam Hussein afin de mettre fin au développement d'armes de destruction massive par l'Irak. « Mais personne n'a apporté de réponse satisfaisante à la question : Comment peut-on être certain que le régime qui le remplacera sera meilleur », a écrit Straw, selon le Daily Telegraph. « L'Irak n'a pas d'expérience de la démocratie, et celle-ci n'est dans les mœurs ou les habitudes de personne », avait-il estimé. Un autre document, émanant de l'administration gouvernementale, estampillé « secret, pour lecteurs britanniques uniquement », souligne que la « construction d'une nation » dans un Irak débarrassé de Saddam Hussein prendrait « des années ». « Plus la présence de forces occidentales sera importante, plus nous maîtriserons le futur de l'Irak, mais plus le coût sera élevé et plus longtemps nous serons obligés de rester », peut-on lire dans le document. Son auteur argumente que remplacer Saddam par un autre « homme fort sunnite » ne tarirait pas forcément le désir de l'Irak de posséder des armes de destruction massive afin de faire face à la menace stratégique que représente l'Iran et Israël. « Il y aurait (...) un grand risque que le système irakien se reconstruise à l'identique. Les coups d'Etat pourraient se succéder jusqu'à ce qu'un dictateur sunnite émerge, protégeant l'intérêt des sunnites », indique encore le document, concluant : « Avec le temps, il pourrait acquérir des armes de destruction massive. » Pour qu'un gouvernement démocratique survive à Baghdad, « il faudrait que les Etats-Unis et d'autres s'engagent dans un processus de construction de la nation pendant des années », et cela « impliquerait la présence d'une importante force de sécurité internationale ». Dans un troisième document, envoyé à Blair par le conseiller de politique étrangère Sir David Manning après un séjour à Washington en mars 2002, ce dernier estime qu'il « y a un véritable risque que l'administration (Bush) sous-estime les difficultés ». « Peut-être s'accordent-ils à dire que la défaite n'est pas une option envisageable, mais cela ne signifie pas qu'ils l'éviteront forcément », écrit-il. Un porte-parole de Tony Blair n'a pas souhaité commenter ces documents, tout en défendant le choix fait par le Premier ministre d'impliquer la Grande-Bretagne dans la guerre. « Nous ne faisons pas de commentaires sur les documents publiés à la suite d'une fuite, mais le gouvernement a de nombreuses fois indiqué clairement les raisons de l'implication militaire en Irak, et croit fermement que l'Irak s'est amélioré depuis le renversement de Saddam Hussein », a-t-il déclaré. Bien entendu, ce point de vue est erroné, car l'indicateur le plus précis reste la situation sur le terrain. Quant au candidat démocrate John Kerry qui multiplie les attaques personnelles contre George W. Bush et son vice-président Dick Cheney, accusé d'avoir profité de la guerre en Irak, sa nouvelle stratégie est de convaincre les électeurs que le président « ne dit pas la vérité » et défend des intérêts particuliers. Il a ainsi dénoncé « les abus » du groupe de services Halliburton, dirigé par M. Cheney jusqu'en 2000, dans la gestion des « immenses » contrats qu'il a obtenus, « sans appel d'offres », pour la reconstruction en Irak. « Nous avons besoin d'un commandant en chef et d'un vice-président qui placent les intérêts de nos soldats et des contribuables avant ceux de leurs amis de la grande finance », a déclaré John Kerry à ses partisans. Au-delà de ce débat, la vérité demeure cruelle et sanglante, puisque plusieurs villes d'Irak sont le théâtre de violences. Dans la ville pétrolière de Kirkouk, située à 255 km au nord de Baghdad, une voiture piégée a tué dix-sept personnes et blessé 53 autres près du quartier général de la Garde nationale, qui sert aussi de centre de recrutement. A Baâqouba, à 60 km au nord de Baghdad, un obus de mortier a explosé devant un lycée technique, faisant 11 blessés parmi des lycéens. Toujours dans le nord, les cinq gardes du chef de la production pétrolière pour la région de Mossoul, Mohammed Ahmed Zebari, ont été tués et trois autres blessés dans une embuscade tendue par des inconnus armés. Ces violences surviennent au lendemain de raids sanglants lancés par l'aviation de l'armée américaine contre ce qu'elle présente comme des repaires de résistants, faisant au moins 55 tués. Mais selon des témoignages concordants, il s'agit d'habitants qui vivent avec la peur au ventre. C'est cela l'Irak, une vaste zone de guerre avec des cibles réelles.