On peut décrire les Algériens comme sourds, insensibles à l'appel des victimes d'abus, des femmes violées, des pauvres écartés, des cadres emprisonnés, des travailleurs licenciés, des orphelins des montagnes, des phoques de la mer et des gazelles du désert. On peut aussi décrire les Algériens comme muets, incapables de défendre autre chose que la gratuité de la parabole pour les particuliers et l'amnistie fiscale pour les commerçants, la voix muette ou trop basse pour défendre les libertés collectives et individuelles par exemple à l'approche du 5 octobre. Il semble bien qu'en plus les Algériens vont devenir aveugles aujourd'hui, à cause d'une éclipse de quelques minutes qui va plonger dans le noir Alger, Tizi Ouzou et Batna, trois des villes les plus particulières du pays. Le ministère des Affaires religieuses a lancé une campagne pour expliquer que l'éclipse n'avait rien à voir avec le référendum et le ministère de l'Education a fermé les écoles, tout comme le ministère de l'Intérieur a fermé les bureaux de vote, bien que cela n'ait rien à voir. Chacun est rentré chez soi, comme pour un gros match à la télévision, les autres s'étant rendus à l'étrange salat el koussouf, la prière de l'éclipse, pour conjurer la peur du noir. Contrairement aux Algériens, les astrophysiciens le savent ; tout comme il y a un cabinet noir en Algérie, il y a de la matière noire dans l'univers. Une matière invisible qui intrigue les spécialistes et dont les Algériens ont instinctivement peur, sans savoir qu'elle existe. C'est pourquoi personne ne sort le jour de l'éclipse, au risque de tomber dans un trou noir ou de se faire avaler par une machine électorale. C'est pourquoi les autorités, juste après qu'elles aient appelé tous à sortir en masse, pour le vote, ont appelé à ne pas sortir, pour l'éclipse. Ne pas sortir et surtout ne rien voir.