Crier- même du bout des lèvres, comme par hypocrisie sur tous les toits les «douleurs» que provoquent en nous les quelques bobos de la vie, dont parfois on s'interroge réellement sur l'ampleur des tourments, est une attitude propre à l'homme : se faire une place ou revendiquer un statut en se battant la coulpe, sous les yeux niais et larmoyants des autres. En replongeant, publiquement, dans les eaux profonds et troubles de son âme, en faisant appel à coups de trompette, aux concepts freudiens : conscience, subconscience, inconscience pour les plus hasardeux, l'homme, l'écrivain notamment, éprouve une extrême jouissance à laquelle il trouve, à tort ou à raison, des vertus créatrices. On se demande parfois si la « tragédie » des juifs, n'est pas pour quelque chose dans cette espèce d'auto-flagellation très en vogue tant chez l'homme moderne que dans la littérature mondiale. Si l'angoisse des juifs leur a servi d'un redoutable moyen gouverner la planète, celle des autres peuples, qu'on essaye par tous les moyens d'étouffer, n'est pas de moindre malheur et qui, peut-être, n'a pas besoin d'une politique «victimiste» d'une telle vilenie, car on n'acquiert jamais la vertu par le moyen de la ruse. Surtout si l'on se revendique d'Aristote, de Jésus ou de Moïse. Ah ! Si tous les malheureux — les vrais, pas ceux qui ont bâti leur triste notoriété sur des supposés drames ou peut-être des drames réels, mais dont l'ampleur fut mise sur l'autel de la haine revancharde — si tous les malheureux sur cette terre pouvaient écrire de la prose pour dire, seulement dire, cette douleur sourde qu'ils n'ont jamais cessé d'endurer, la mort, la vraie mort, non le mot, dans l'âme. Comme j'aurais souhaité que ma défunte grand-mère ait son potentiel de culture et d'instruction, pour témoigner textuellement ce qu'a été pour elle, comme pour les milliers d'hommes et de femmes comme elles, cette douleur muette qu'aucun écrivain dans le monde, le plus brillant soit-il, ne saurait mesurer, encore moins décrire l'intensité. On se demande enfin si les mots, tous les mots que l'homme a créés jusque-là, sont à la mesure des drames dont nous fûmes de près ou de loin, victimes. Mais de là surgit une idée subite, dérangeante et qui me prend de court : contester la transposition de la douleur à l'écrivain, c'est la négation même de la littérature. Alors, peut-on, avec le seul stylo ou l'ordinateur, décrire la vraie nature de la tragédie humaine ?