«Mais qu?est-ce qui a changé tes yeux ?» «C?est le khôl de ton pays !» «Mais qu?est-ce qui a bruni ta peau ?» «C?est le soleil de ton pays !» «Mais qu?est-ce qui a fait que tu n?as plus que la peau sur les os ?» «C?est la mauvaise cuisine de ton pays !» Démoralisé, le prince sortit faire quelques pas dans le jardin et l?oiseau de nuit et de suie guida ses pas ; bientôt il arriva au fond du jardin et aperçut au loin la gazelle qui bramait en faisant le tour du puits. Il s?approcha et entendit Ali la gazelle se lamenter : «Loundja ma s?ur, Fille de ma pauvre mère, que Dieu ait son âme ! On aiguise les lames, pour Ali la gazelle.» «Oiseau de nuit et de suie donne-moi tes ailes !» répondait sa s?ur au fond du puits «Loundja, mon Dieu on a mis les marmites sur le feu», reprenait Ali apeuré. La jeune femme en l?entendant répondait : «Loundja ta s?ur est morte de peur ! Elle a sur un genou la tête du serpent Et sur l?autre les enfants du roi, elle ne peut rien pour toi ! Que Dieu soit avec elle et avec toi» Surpris, le prince se pencha et vit dans le puits sa femme et les jumeaux. Les enfants étaient si beaux qu?ils répandaient autour d?eux de la lumière. Parce qu?il savait que le puits était possédé par les djinns, le prince, sans perdre de temps, fit appeler le taleb, le saint homme, qui dit : «Il me faut remplir cette blague à tabac d?eau de la source enchantée !» Le prince se désola : «Elle se trouve à l?entrée de la ville !» Alors, on vit l?oiseau de suie et de nuit s?emparer de la blague et à tire-d?aile disparaître. Le taleb se tourna vers le prince, intrigué et lui expliqua : «La princesse est pétrifiée de peur, elle n?écoutera que son frère.» L?oiseau de suie et de nuit revint se poser sur l?épaule du saint homme et lui présenta la blague pleine d?eau ; le taleb en approcha les lèvres et récita, à voix basse, des prières. Puis il fit boire cette eau à la gazelle en disant à haute voix : «Si tu es gazelle demeure gazelle ! Si tu es humain, redeviens humain ! Que dieu maudisse le malin !» On vit l?animal se transformer en un beau jeune homme qui se mit à chanter : «S?il ne faut pas apprendre à l?oiseau à chanter S?il ne faut pas apprendre au poisson à nager Il ne faut surtout pas apprendre à l?orphelin à pleurer !» Du fond du puits, Loundja reconnut son frère et lui tendit les jumeaux en disant : «Frère, sauve d?abord mes enfants !» «Je sauverai aussi la mère car je ne voudrais pas qu?ils connaissent le calvaire de l?orphelin !» répliqua Ali. Puis doucement, sans réveiller le serpent, à l?aide d?une nacelle, il remonta du puits la mère et les enfants. Le lendemain, on fêta la naissance des héritiers : la voix de la poudre emplit le ciel d?Algérie ; le royaume s?illumina de mille feux ; la reine et le prince nageaient dans le bonheur et la joie. L?histoire veut que Loundja et son frère vécurent, dans le palais, enfin heureux ! Djohera disparut : elle rejoignit avec sa mère la longue procession des mendiants. Elles errent depuis, sur les routes sinueuses des monts de l?Aurès harcelées et poursuivies par l?oiseau de suie et de nuit. Pour les punir, la tendre brise se faisait méchante et les nuages ne se laissaient pas traverser par les chauds rayons du soleil. Dès qu?elles approchaient, les sources et les puits s?asséchaient, les arbres cachaient leurs fruits et les vaches durcissaient leurs pis. C?est ainsi que se termine l?histoire de la vache et des orphelins. Mon conte s?est consumé peu à peu sous vos yeux. Alors, vous avez pris la route des cieux. Et moi, j?en remercie Dieu ! G. A. B.