Le compromis silencieux autour du dinar faible en vigueur depuis dix ans dans les sphères du pouvoir a connu un premier coup de canif il y a un an lorsque le ministre des Finances du moment, Abdelatif Benachenhou, avait jugé sa valeur trop dépréciée face aux principales devises étrangères, et a même préconisé qu'il « s'apprécie dans l'avenir ». Rien n'est bien sûr arrivé et la cotation bancaire du dinar n'a pas varié au-delà des réajustements techniques à la hausse comme à la baisse. Tout est en fait comme avant. En l'absence d'un vrai marché des changes, d'une convertibilité plus grande du dinar et d'une législation des changes plus libérale avec les transferts de capitaux, la cotation de la monnaie nationale continue d'obéir à une règle de calcul factice qui peut donner des résultats différents selon les coefficients que décide d'affecter la banque d'Algérie aux autres monnaies du panier de devises avec lesquels s'établit la parité du dinar. La question aujourd'hui mérite donc d'être reposée. Faut-il maintenir la parité du dinar aussi basse face à l'euro et au dollar ? Que dit l'enquête « commodo incommodo » ? En faveur du dinar faible, il y a incontestablement un avantage à la production nationale face aux produits importés rendus plus chers dans leur devise d'origine. Il y a sans aucun doute des pans entiers de l'agroalimentaire, des matériaux de construction, du montage électronique, du bois et de l'ameublement, des fragments de la confection qui survivent - et font parfois mieux - grâce à l'euro fort des produits espagnols, français ou italiens. En faveur du dinar faible, il y a aussi des coûts de production très bas en Algérie qui devraient attirer des investisseurs étrangers. Le niveau des salaires est plus bas en Algérie qu'au Maroc et qu'en Tunisie, sans parler des services, libellés en dinars. Le dinar faible est enfin une prime d'assurance contre la fuite massive de capitaux. Les montants qu'il faut mobiliser en dinar pour obtenir une contre-valeur décente en euro ou en dollar dissuade de fait la grande évasion de capitaux. Les pays d'Asie qui ont pratiqué une parité artificiellement élevée de leur monnaie nationale face au dollar américain l'ont payé gravement en 1997 lors de la terrible crise asiatique déclenchée par des retraits massifs de capitaux, permis il est vrai par des législations financières dérégulées. Un dinar qui vaut 0,15 euro aurait aiguisé les envies de placer « une épargne » en devise à l'étranger. En défaveur du dinar faible, il y a le niveau de vie des Algériens dès qu'il s'agit de les intégrer dans le monde qui les entoure. Ils s'en aperçoivent tous les étés lorsqu'ils se déplacent en masse en Tunisie ou beaucoup moins nombreux en Europe : le dinar est à la peine devant les prix intérieurs des autres pays. Il faut 250 dinars pour acheter un panini à Casablanca et 400 dinars pour un cheeseburger sur le vieux port de Marseille. Pour n'en rester qu'au casse-croûte de la mi-journée. D'ailleurs la faiblesse du dinar est pénalisante dans la tarification des services liés à l'international comme le billet d'avion devenu hors de prix en Algérie même. En défaveur du dinar faible joue en sens inverse le même argument qu'en sa faveur lorsqu'il s'agit de l'investissement étranger : lorsque les compagnies étrangères convertissent leurs dividendes du dinar vers une devise forte, ce n'est jamais brillant. Cela crée un problème de seuil critique de rentabilité qui peut rendre l'investissement sans intérêt même si les coûts domestiques sont très bas. Le dinar faible, pour en finir avec ses désavantages les plus criants, entretient un dangereux effet d'optique sur les finances publiques. Les recettes du budget sont artificiellement hautes par le jeu de la conversion de la fiscalité pétrolière du dollar au dinar. La performance de l'économie et de la fiscalité ordinaire est masquée. L'idéal, on l'aura compris, serait finalement d'avoir un dinar fort combiné à des coûts de production faibles. Avoir des revenus et de la compétitivité, cela suppose une très forte productivité des facteurs de production, de la ressource humaine en tête. Mais cela ce n'est pas la Banque d'Algérie qui en décide.