L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a rendu publique à la fin du mois d'août dernier l'existence de rapports officiels qui font état d'une expansion de la grippe aviaire au-delà des limites des domaines ornithologiques, la barrière de l'Oural entre autres, que l'on pensait protectrice car elle sépare physiquement les populations d'oiseaux d'Europe et d'Asie. La Russie et le Kazakhstan ont en effet signalé des foyers de grippe aviaire dans des élevages de volailles avec la confirmation que l'agent biologique coupable est bien le virus H5N1, emboîtant ainsi le pas à la Mongolie qui avait annoncé, trois semaines auparavant, la découverte au bord de deux lacs, dans le nord du pays, d'une centaine d'oiseaux migrateurs morts infectés par un virus de type A, lequel n'a pas encore été déterminé. Jusque-là, les foyers de grippe étaient cantonnés en Asie du Sud-Est et en Chine. Cette nouvelle flambée de grippe en Russie occidentale et au Kazakhstan, où on a respectivement abattu 120 000 et 9000 volailles, a été imputée à des oiseaux migrateurs, porteurs sains du virus de la grippe, qui ont eu des contacts avec des oiseaux domestiques sur les mêmes plans d'eau dans leurs aires de nidification estivales. Les craintes que suscite en ce moment la probabilité d'une pandémie qui pourrait coûter la vie à 150 millions d'êtres humains conforte cette idée, notamment là où les moyens sont insuffisants pour assurer un état sanitaire satisfaisant des élevages, maîtriser rapidement un foyer d'infection et contrôler les déplacements transfrontaliers des volailles. Ajouté à cela le manque de transparence de certains pays qui préfèrent souvent cacher l'éclosion de foyers sur leurs territoires. « Il ne faut pas écarter le risque d'une propagation de l'épidémie par les oiseaux migrateurs, et les gouvernements doivent prendre les mesures pour éviter les contacts entre les populations sauvages et les populations domestiques », a déclaré Joseph Domenech, vétérinaire en chef de la FAO. A l'opposé, de nombreux spécialistes affirment que les oiseaux migrateurs ne jouent qu'un petit rôle dans l'expansion de la maladie. « Les oiseaux sauvages sont des victimes de la grippe », ont rétorqué des experts américains et français, en réponse aux accusations de la FAO. « Ce sont des sentinelles... un réservoir du virus grippal certes mais pas un réservoir de la maladie. Ils sont infectés parce que les poulets sont infectés ». Pour eux, « ce sont surtout les humains voyageurs qui sont responsables de l'expansion rapide du virus en Asie du Sud-Est, où des millions de volailles ont dû être abattues pour tenter d'enrayer l'épidémie ». « Si le virus est hautement pathogène pour la volaille domestique, il ne l'est pas forcément pour les espèces sauvages. AInsi, des canards peuvent être porteurs de virus sans être malades. Il existe tout un réservoir d'oiseaux sauvages susceptibles de transporter cette souche lors du flux migratoires », estiment encore les scientifiques. Il semble établi que la souche H5N1, le plus craint des virus de la grippe aviaire, détecté chez des oiseaux sauvages en certains endroits d'Asie du Sud-Est et de Sibérie, est relativement bénigne et que c'est uniquement lorsqu'elle est transmise à des oiseaux domestiques élevés en batterie dans des conditions stressantes qu'elle devient, par mutation, agressive et mortelle, y compris pour l'être humain. « De plus, on imagine mal en effet un oiseau migrateur atteint d'une maladie potentiellement mortelle et qui franchirait pourtant des milliers de kilomètres à travers des contrées inhospitalières et des chaînes de montagnes. Un tel oiseau a sans doute plus de (mal) chance de mourir sur place et de contaminer localement d'autres oiseaux sauvages ou domestiques avec lesquels il aurait été en contact ! Il n'y a donc pas d'argument sérieux pour accuser formellement les oiseaux migrateurs de transmettre la grippe aviaire à travers le continent asiatique. Par contre, les échanges commerciaux et les transports de volailles ont bien lieu dans ces régions, le long des axes de dispersion actuelle du virus, et il ne faut sans doute pas chercher ailleurs les causes actuelles de la propagation de l'épizootie », a déclaré Pierre Le Prince, chargé de cours en sciences biomédicales à l'université de Liège (Belgique) et président de la prestigieuse association ornithologique royale Aves-Natagora.