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Mostéfa Faci, littérature et humanisme
Une narration tendre et généreuse
Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2005

un grand écrivain de notre époque. Une figure emblématique. Humble et modeste, Mostéfa Faci refuse tous les qualificatifs, il s'en fiche royalement. Il est écrivain tout court, et c'est déjà beaucoup, l'écriture est un mérite et non un qualificatif, disait-il.
Dans un espace culturel déchiqueté, traversé par toutes les dérives les plus abjectes et les contradictions insurmontables, ce genre d'écrivain, juste et noble, n'a aucun droit de cité. Pourtant, Mostéfa est l'un des rares écrivains algériens à figurer dans le livre scolaire et ce n'est que justice. Ses nouvelle figurent aussi dans le livre de poche édité en France : Choix de nouvelles arabes et dans plusieurs autres publications : Nouvelles algériennes, recueil publié en France et coordonné par l'Institut du Monde arabe, et dans Paroles d'Algériens paru à Paris en coédition entre Arte, Serpent à plumes et l'IMA, à l'occasion de l'Année de l'Algérie en France. Il est traduit aussi en russe, chinois et dans d'autres langues, ce qui donne à son écriture une dimension internationale, teintée d'une originalité qui ne dément jamais. Mis à part son statut universitaire comme professeur de littératures étrangères à la faculté des lettres et des langues à l'université d'Alger, il est le chef de fil de cette deuxième génération d'écrivains de langue arabe. Depuis plus d'une trentaine d'années que Mostéfa Faci écrit La Nouvelle, en forgeant un nom dans le sillage des grands écrivains arabes de renommée, comme Naguib Mahfouz, Zakaria Tamer, Haydar Haydar et d'autres, qui ont marqué ce genre littéraire par la qualité de leur esthétique artistique et leur travail de création. Certes, on est plus à la période faste des années 1970 qui a vu un foisonnement de La Nouvelle avec l'arrivée sur le marché algérien des revues arabes spécialisées en littérature, telles que Al Mawkif Al Adabi (Syrie), Al Aklam (Irak), Kissas (Tunisie)... Mais Faci reste toujours fidèle à ce genre malgré les tentations du roman auxquelles ont cédé ceux de sa génération. Dans son écriture tendre et généreuse, Mostéfa Faci efface les âges. Dans presque chaque Nouvelle, il nous renvoie à nous- même, à notre enfance qui refuse de se fondre dans la banalité ambiante et qui se bat pour rester vivante et autonome. Ses nouvelles sont comme des icônes où le lecteur n'est attiré que par une face de l'objet. Les autres restant dans l'ombre, il faut vraiment bouger ou changer de position pour les découvrir. D'ailleurs, le thème de l'enfance est omniprésent dans l'œuvre littéraire de Mostéfa Faci entière, Les lumières et les souris (Enal 1980), en passant par Le Deuil des mouettes blanches (Enal 1984), L'Histoire de Abdou et des crânes (Tunis 1985) jusqu'à L'homme des deux mondes (Damas-1999, recueil de nouvelles traduit en langue française-UEA-2003). La thématique générale de Mostéfa Faci c'est toujours cette société algérienne qui n'arrive pas à avancer et tombe inévitablement dans la répétition, comme si rien ne bouge ou comme si la mémoire est totalement en panne. Pourtant, l'écrivain nous fait découvrir ces petits détails qui nous échappent indéfiniment et qui font de la répétition une pratique inévitable. Le dernier recueil de Mostéfa Faci, fraîchement sorti dans la collection Libre-Poche, reprend à son compte le vécu des Algériens dans une situation de crise, mais sans tomber dans le discours politique facile ou plat. Toutes les nouvelles du recueil, ou presque, sont teintées de la tragédie des années 1990 avec tout son lot de malheurs et de déprimes. Des situations absurdes et tragiques. Dans la nouvelle Les Houris du paradis c'est le fantasme qui arrive à son paroxysme en frôlant la folie ; c'est l'histoire d'un jeune qui participait à une grande marche du FIS. Sous l'effet d'une insolation et de la drogue, il s'évanouit devant la porte d'une coiffeuse. Aidé par les femmes du salon de coiffure, le jeune ouvrit les yeux tout doucement. Convaincu qu'il était mort et déjà au paradis entre les mains des houris, il referma ses yeux en se laissant bercer par la douceur des parfums et les caresses des femmes qui essayaient vainement de le réveiller. Dans L'assassiné, ce sont les mêmes angoisses qui traversent l'écriture de Mostéfa Faci. Un homme ordinaire qui chaque matin croise sur son chemin le regard d'un autre homme qui le suit comme son ombre finit par se résigner à l'évidence que celui-ci voulait le tuer. En Attendant le geste fatal et le passage à l'acte, l'homme intègre la mort en l'acceptant. Et contre toute attente, l'écrivain nous prit au dépourvu et nous met en face du présumé assassin qui sortit son PA, non pas pour tuer la victime qui attendait inéluctablement sa mort, mais pour le sauver d'un assassin qui s'apprêtait à lui tirer une balle dans la tête. Dire que le vrai criminel reste toujours invisible. Dans Le Lâche assassinat de Wardi l'oiseleur, c'est toujours l'odeur de la mort qui rôde dans les quartiers les plus pauvres de la ville, l'assassinat d'un oiseleur. C'est lui qui donnait vie au jardin du quartier. Avec sa mort, c'est l'innocence qui était visée puisque même les oiseaux ont participé à son enterrement avant de s'éclipser pour de bon. Dans Ton Père ou la bombe, Une Petite fille face à un dilemme. On lui demande de déposer une bombe dans son lycée ou c'est son père qui paiera. Contrainte par la peur, elle accepte, mais son instinct de vie était plus fort que la mort puisqu'elle tombe évanouie en hurlant de peur. On découvre la bombe et on la désamorce. Une enfance des années 1990 marquée au fer rouge à qui on a violé l'innocence. Par son écriture forte et résonnante, Mostéfa Faci nous renvoie à la teneur des textes classiques qui n'ont d'autres référents que le travail artistique de l'écrivain et son effort impérissable. Dans Les Statues, Faci reprend cette idée si chère à lui, celle de la défiguration de la société et du système ; comment les gens, à force d'accepter le mal, finissent dans celui-ci sans se rendre compte. Tout commence par une image qui vient de loin, celle de quatre hommes, la tête en face du mur et les mains derrière, sous la menace de deux militaires, la même image se reproduit après l'indépendance quand le narrateur voit descendre les gens d'un car et opter la même position en face d'un mur délabré. La dernière image insoutenable est celle de tout le quartier où le narrateur lui-même se retrouve dans la même situation, celle d'une statue plantée en pleine rue sans savoir pourquoi. Dans Les Funérailles du grand poète, Faci met en avant tous les ingrédients du conte, c'est le grand jeu entre le pouvoir, ennemi de la culture et de l'art, et le petit peuple qui connaît les siens. La mort du poète malmené par le pouvoir n'est qu'un déclencheur. Le pouvoir veut faire de cette mort une occasion pour calmer les esprits révoltés. Il décide alors d'organiser des funérailles officielles. Les gens du quartier pauvre dans lequel habitait le poète refusent. Le pouvoir insiste. Il envoie un très beau cercueil afin d'y mettre la dépouille du poète. Sachant qu'il n'avait pas d'autre solution, l'ami du poète, menuisier de son état, décide de bourrer le cercueil de draps, de tissus et de matériaux lourds et le renvoie dans l'ambulance officielle qui attendait impatiemment. Les funérailles officielles terminées, l'ami du défunt poète donna l'ordre d'exécuter le testament et d'enterrer dans l'intimité le grand poète. La nouvelle la plus longue est celle de L'Elu dans laquelle on remarque la métamorphose des gens dans un système corrupteur. Ahmed, un citoyen qui croit beaucoup en la justice sociale et ses représentants, est chargé d'une mission par son village qui est aussi celui de l'élu. Il a la charge d'informer (S) d'une injustice dont a été victime un citoyen de la région. Après un grand périple, il retrouve la maison de l'élu. Une villa qui fait peur par ses chiens, et ses portes dissimulées. Ahmed est reçu par l'élu dans un petit coin de la villa. L'élu trop occupé par son singe Moki n'écoute même pas la requête du citoyen censé le représenter. Ahmed quitte à la hâte les lieux sans regarder derrière lui. L'homme élu n'était plus le même. Il était à l'image de tout le système. Les funérailles du grand poète est plus qu'un recueil de nouvelles, une métaphore de la décadence et la déchéance des vieux rêves entretenus par de faux discours et le mensonge permanent. Juste un dernier mot, ceux qui ont raté Mostéfa Faci lors de la signature de son dernier recueil de nouvelles Les funérailles du grand poète à la librairie d'El Ghazali auront le plaisir de le rencontrer le jeudi 20 octobre à la librairie du Tiers-Monde. A 60 ans, Mostéfa est toujours l'enfant qui fait de l'innocence son atout d'écriture et sa raison de vivre.

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