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Les nouvelles orientations économiques ou la seconde vie du populisme
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Publié dans El Watan le 26 - 08 - 2010

Entrée en crise vers la fin des années 80, au point où certains annonçaient son extinction proche, l'idéologie populiste semble aujourd'hui reprendre peu à peu du poil de la bête.
Même si la crise politique qui a secoué le pays pendant deux décennies n'a pas entraîné la disparition du populisme en tant qu'idéologie dominante, elle n'en a pas moins affecté ses formes d'expression dans les différents champs de la vie sociale du pays.
Dans son œuvre pionnière intitulée «L'impasse du populisme», le professeur Lahouari Addi décrit les fondements politiques et économiques du populisme, idéologie qui accompagnera la politique de développement menée par notre pays depuis l'indépendance jusqu'à nos jours. Fondée sur la négation du conflit politique et sur le refus de voir la société à travers les conflits qui la divisent, l'idéologie populiste donnera naissance à une pratique économique qui servira, tout au long de la période ayant suivi l'indépendance, de source de légitimité pour l'élite politique au pouvoir. Ainsi, au lieu d'arbitrer les conflits de répartition dans le respect des lois inhérentes à la reproduction économique de toute société, la pratique économique en question a constamment érigé en règle la volonté de nier le conflit lui-même.
De cette négation permanente a résulté une impasse économique dont l'auteur s'est efforcé, en usant d'une démarche qui emprunte ses outils à la sociologie politique et qui s'émancipe, du même coup, de la dictature de l'économisme, de décrire les ressorts profonds et les principales manifestations. L'œuvre de L. Addi est publiée en 1990. Vingt ans plus tard, force est de noter que son analyse du populisme garde fondamentalement toute son actualité et toute sa pertinence même si, dans l'intervalle, ses formes d'expression dans les différents champs de la vie sociale ont connu des changements notables. Il en est particulièrement ainsi du domaine économique, domaine dans lequel cette idéologie a fait le plus de ravages. En effet, même si le populisme est une idéologie d'essence politique, c'est dans le domaine économique que ses manifestations sont les plus patentes et les plus néfastes. Quels sont donc les manifestations économiques caractéristiques du populisme depuis que le pays s'est officiellement fait l'adepte de l'économie de marché ?
La réponse à cette question devrait aller au-delà de la simple observation empirique des changements qui s'opèrent dans la codification des rapports sociaux qui se nouent dans le champ économique. Elle devrait aussi et surtout situer ces changements dans un cadre explicatif global dont la problématique générale serait l'identification de l'enjeu principal qu'une transition à une régulation par le marché ne manquera pas de poser à l'idéologie populiste.
Auparavant, il convient de remarquer que si l'idéologie populiste a marqué de son empreinte toute la trajectoire économique et sociale du pays, trajectoire que l'on peut résumer en une tentative de construire une économie à l'abri et à l'encontre des lois du marché qui divise, c'est sans doute parce que le pays disposait de suffisamment de ressources pour faire face au coût que la négation du conflit économique ne manqua pas de générer. Ces ressources sont constituées de la rente pétrolière. Tant que ces ressources étaient disponibles en quantités suffisantes, l'Etat ne voyait pas la nécessité de réformer sa façon de conduire les affaires économiques du pays, et l'idéologie populiste continua de servir de fondement solide et exclusif à la politique de développement.
La crise de 1986 est un événement majeur dans la trajectoire économique du pays. Elle annonce l'amorce d'une suite d'ajustements qui vont à l'encontre de ce que préconise la conception populiste de l'économie. Les difficultés économiques de l'époque ne tarderont pas à mettre à rude épreuve tout l'équilibre politique et idéologique qui a prévalu jusque-là, au point où d'aucuns voyaient dans ces ajustements une rupture systémique avec le modèle économique antérieur. Bien que la période fût difficile, il faut observer cependant que, à bien des égards, elle fut aussi très féconde en termes de changements économiques et sociaux. Si les pratiques de réforme ont essentiellement porté sur des ajustements macroéconomiques et sur quelques changements institutionnels, le discours, quant à lui, peinait à prendre des contours clairs dans son expression formelle. L'idéologie populiste a incontestablement perdu du terrain, mais sa traduction dans le domaine économique gardait toujours la thématique de la sauvegarde de l'indépendance économique nationale contre les menaces de l'extérieur.
Jusqu'à la fin des années 1990, le populisme était véritablement en difficulté. Mais c'était compter sans le retournement (heureux ?) de la situation sur le marché mondial du pétrole, marché dans lequel est puisé l'essentiel, ou plutôt l'intégralité de la ressource économique du populisme.
Ainsi, alors que la chute des prix du pétrole en 1986 annonçait l'enclenchement d'un processus d'ajustements et de réformes rompant avec la pratique populiste et son corollaire, le clientélisme, la reprise soutenue des cours du pétrole à partir de 1999 allait inaugurer une phase nouvelle. Celle-ci commença d'abord par l'abandon des réformes, ce qui se manifestera par un immobilisme institutionnel qui dure depuis la fin des années 90, et depuis peu par un retour aux vieilles recettes des années 1970 et 1980.
L'intrusion du marché dans la régulation sociale n'est pas sans exacerber le conflit de partage du surplus économique, en l'occurrence la rente, entre les différents protagonistes, acculant l'idéologie populiste dans ses retranchements ultimes que sont le symbolique et les représentations. Mais ce conflit entre l'économie et le populisme est dynamique, et son issue incertaine. L'expérience de réforme tentée durant les années 90 et l'immobilisme institutionnel qui lui a succédé durant la décennie 2000 indiquent clairement que le populisme n'a pas été défait en tant qu'idéologie politique prééminente. Avec les ressources abondantes que le pays engrange grâce au pétrole, il semble que cette idéologie a encore de beaux jours devant elle et les dernières orientations économiques de l'Etat n'en sont que les premiers signes.
Présentement donc, tout semble indiquer qu'un retour en arrière est en train de s'opérer à petites doses, insidieusement. Ce processus, quand il ne prend pas la forme de mesures remettant en cause les quelques libertés conférées aux agents économiques, n'en exprime pas moins la volonté de restaurer, avec plus ou moins de succès, le contrôle de l'Etat sur les aspects de l'activité économique qui peuvent se révéler sources de conflits ou de menace sur la paix sociale. La révision de la réglementation de la concurrence (et donc des prix), le soutien financier systématique au secteur public, pourtant structurellement déficitaire et véritable gouffre financier pour la collectivité, l'instauration de restrictions administratives dans l'accès au commerce extérieur, le recrutement pléthorique dans la Fonction publique, les dépenses publiques d'équipements pour le moins injustifiées et inconsidérés … en sont autant de manifestations. En somme, la pratique économique mise en œuvre ces derniers temps manque de visibilité et le projet économique de l'Etat se révèle, pour reprendre l'expression de R. Boudjema, dépourvu d'éléments qui le rendraient scientifiquement repérable.
Pour d'aucuns, les dernières mesures décidées par les pouvoirs publics dans le cadre de la LFC 2009 sont l'expression d'un nationalisme économique érigé désormais en doctrine de gouvernance économique. Il convient cependant de ne pas confondre nationalisme économique et populisme. Le nationalisme économique est une doctrine qui stipule que lorsque, dans ses relations avec l'extérieur, le pays est dans une situation où l'intérêt économique de la nation est en «jeu», l'Etat a le devoir de prendre la décision la plus conforme à l'intérêt national. Cette attitude nécessite des arbitrages qui souvent génèrent des coûts internes mais présentent cependant l'avantage de préserver et/ou d'accroître les ressources externes du pays, but ultime de la doctrine. Le nationalisme économique peut se traduire par ailleurs par des arrangements institutionnels internes favorisant des catégories sociales au détriment d'autres.
Le populisme, quant à lui, est une doctrine politique qui refuse d'envisager le conflit social. Selon lui, tout doit être mis en œuvre pour que les conflits entre catégories sociales soient noyés, annihilés ou simplement ignorés. La quête d'une cohésion nationale et d'une paix sociale est le principal mobile du populisme. Cette fin justifie la prise de décisions à coût économique exorbitant. L'élément «coût» n'entre pas dans le champ des critères pris en considération lorsque des arbitrages doivent être effectués. L'évacuation de l'élément économique s'explique par le fait que le populisme est avant tout une doctrine politique : son but est la suppression du conflit, sa négation ou, lorsque cela s'avère plus compliqué, son confinement.
Qu'en est-il donc de la nouvelle orientation économique qui se dessine dans le pays ? S'agit-il d'un patriotisme économique légitime ou d'un retour aux pratiques éculées d'un populisme ravageur ? Quelques éléments suffisent pour se faire une idée sur la nature des changements annoncés. On pourrait évoquer le statut du secteur public et celui de l'échange marchand, ainsi que le rôle éminemment social conféré à la Fonction publique. C'est sur ces terrains, et d'autres, que le populisme semble faire le plus de résistance.
Ainsi, après avoir longuement, pendant toute une décennie, discouru sur la nécessité de privatiser le secteur public, l'Etat semble avoir changé d'ordre du jour puisque, depuis quelque temps, l'heure est à la réhabilitation du secteur public industriel comme principal outil de développement économique. Outre son caractère anachronique, une telle option est l'illustration parfaite du retour en force du populisme dans la conduite des affaires économiques du pays. Lieu où pullulent les comportements de gaspillage, de gabegie et de corruption ; traversé, comme aucun autre espace public, par la logique clientéliste ; faisant supporter à la collectivité le coût de ses déficits dont personne n'ose imaginer ou dire le montant — qui connaît d'ailleurs le montant du découvert bancaire du secteur ? — le secteur public est le lieu où l'immobilisme a été érigé en règle absolue.
De tous les secteurs d'activité économique, le secteur public est en effet le seul, depuis le début des réformes en 1990, à avoir gardé pratiquement la même configuration de fonctionnement et les mêmes «travers» de non-gestion. Dans ces conditions, sa réhabilitation n'aurait de signification que si on l'inscrit en droite ligne de la logique populiste qui anime l'action de l'Etat, logique selon laquelle l'existence d'un secteur public n'a d'intérêt que si l'on en fait un instrument de distribution de prébendes à la clientèle politique, un lieu de négation du conflit capital-travail — d'où le refus obstiné d'admettre l'autonomie des organisations syndicales — et un guichet qui sert de lieu de distribution indirecte de la rente, sous forme de «salaires ».
Par ailleurs, la réhabilitation annoncée du secteur public, outre qu'elle indique l'incapacité du décideur à se départir de la vision populiste de l'économie, signifie le report sine die de la réhabilitation du rapport salarial comme institution centrale de toute dynamique projetée de croissance économique. Dans le contexte mondial actuel caractérisé par l'exacerbation de la concurrence, à travers notamment l'adaptation des configurations institutionnelles du rapport salarial prévalant dans chaque pays, il est illusoire d'espérer une reprise économique fiable et durable en misant sur un secteur public dont on sait que le fonctionnement repose fondamentalement sur une configuration clientéliste du rapport salarial. L'autre terrain sur lequel le populisme semble montrer des signes de résistance et, depuis peu, de reprise en main, est celui du statut conféré, dans les faits, à l'échange marchand.
Si la libéralisation opérée au début de la décennie 1990 a incontestablement et considérablement élargi en institutionnalisant la liberté des prix, le champ de l'échange marchand, il n'en demeure pas moins que de ce champ demeurent encore exclues de larges gammes de produits et de services dont les prix continuent d'être administrativement fixés ou réglementés. Il en est particulièrement ainsi du logement, de l'enseignement, de la santé et de certains produits alimentaires dits de première nécessité. En réalité, l'étendue de la sphère de l'échange marchand est fonction de la disponibilité de la rente : l'extension de l'échange marchand durant la décennie 1990 fait suite au tarissement de la rente durant cette période, tarissement qui a entraîné la suppression des différentes subventions allouées pour maintenir les prix administratifs. Avec le redressement durable des prix du pétrole, l'Etat semble avoir retrouvé les moyens financiers lui permettant sinon de réduire, du moins de contenir l'étendue de la sphère de l'échange marchand.
Le populisme voudrait soustraire au marché le rôle de réguler les échanges car le marché est perçu comme source d'exclusion et d'antagonisme. C'est là une de ses caractéristiques essentielles. Mais ce faisant, il remplace des exclusions par d'autres et, plus grave encore, il « institutionnalise» les comportements de recherche de rentes dans toutes les couches de la société.
L'exemple de l'accès au logement est très significatif à cet égard. En Algérie, aujourd'hui, le cadre institutionnel régissant le marché de l'immobilier fait que le meilleur moyen d'acquérir un logement est de s'installer dans une baraque, se marier, faire des enfants et attendre que l'Etat vienne vous reloger ! Le logement social est devenu une prime à l'irresponsabilité. Pis encore, dans l'imaginaire collectif, on semble considérer que le logement social est davantage un droit naturel qu'un avantage social qui n'est accordé que dans certains pays fortement développés.
Un dernier élément permet de prendre la mesure de la permanence du populisme dans le domaine économique : l'accroissement inconsidéré des effectifs de la Fonction publique. Après la décennie 1990 durant laquelle les effectifs de la Fonction publique ont fait l'objet d'une stabilisation — imposée ? — qui s'est poursuivie tout au long des années 2000, la décennie qui s'ouvre inaugure un relâchement certain en matière de rigueur dans la gestion des effectifs. Même si l'entretien d'une Fonction publique pléthorique est un phénomène que l'on retrouve dans tous les régimes rentiers, la situation, en Algérie, semble prendre une dimension alarmante eu égard au coût considérable qu'elle représente et qui doit être supporté, sur une plus ou moins longue période, par la collectivité. A noter que le recrutement pléthorique dans la Fonction publique survient dans une conjoncture internationale marquée par l'adoption, à une large échelle, de plans de rigueur budgétaire et de réduction des effectifs.
D'autres éléments peuvent être ajoutés à ceux que nous venons d'évoquer et qui illustrent tous que si le populisme est d'essence politique, c'est dans le domaine économique qu'il produit les effets les plus dommageables pour la collectivité. En Algérie, l'idéologie populiste semble avoir trouvé dans la rente la ressource qui lui a permis d'agir à «sa guise» et d'asseoir durablement son emprise sur l'ensemble des aspects de la vie sociale en général et dans l'économie en particulier.
C'est sans doute ce qui explique pourquoi, depuis la fin des années 1990, le pays semble se contenter de faire du surplace en matière de transformations économiques et sociales. La disponibilité de la rente crée les conditions objectives qui permettent au populisme de disposer de suffisamment de moyens pour durer, retardant ainsi l'inéluctable et la nécessaire rupture avec le régime rentier.
Note de renvois :
1) C'est sans doute ce qui explique les hésitations et les tergiversations qui ont précédé le recours au FMI, au début des années 1990.


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