Dans une tribu vivant entre ksar et dunes, un homme, qui ne pouvait pas avoir d'enfant, a fait un pacte avec un djinn. Le djinn aidera l'homme à enfanter mais prendra, en contrepartie, le premier bébé. L'enfant né, une fille, le père ne voulait plus donner son bébé au djinn. Par colère, l'être en feu a promis de posséder toutes les filles de la tribu. Cela ressemble à un conte. El Djinn, le nouveau court métrage de Yasmine Chouikh, projeté pour la première fois à Alger, lundi soir lors des Mille et Une News, les soirées organisées par le quotidien Algérie News, se déroule comme une histoire, aux frontières du drame psycho-social. Une histoire quelque peu accélérée. Ambar, interprétée par Kadidja Makaoum, passe à l'âge adulte, mais doit échapper à la possession du djinn. «Si le djinn ne te prend pas après trois jours, tu fera partie de notre tribu. Le djinn est le feu et toi le pot en argile», lui annonce la dame qui procède “au cérémonial” initiatique. Dans ce film, déjà présenté au short corner du festival de cinéma de Cannes, le djinn est invisible. Ambar prétend l'avoir vu. «Il est beau et tendre», lance-t-elle aux filles. La fiction de Yasmine Chouikh est supposée montrer le passage de l'enfance à l'âge adulte pour la femme dans ce village saharien (le tournage a eu lieu à Taghit dans la région de Béchar). «J'ai tendance à croire que si la femme ne réussit pas ce passage, elle est marginalisée par la société», a expliqué la réalisatrice lors du débat qui a suivi le projection. Pour elle, El Djinn ne raconte pas une légende. «L'histoire est tirée de traditions algériennes scénarisées», a-t-elle expliqué. Le djinn ressemble à un prétexte dans un film qui évoque la place de la femme dans la société. «En fait, c'est l'idée qu'on se fait du djinn. On tente de justifier ou d'expliquer certains comportements sociaux par l'évocation du djinn et de la force occulte. Le djinn est aussi utilisé par la société», a relevé Yasmine Chouikh. Autant dire qu'El Djinn n'est pas un court métrage gore où le sang est projeté sur les murs. Ambar est presque heureuse, poussée par la curiosité, d'aller chercher le djinn dans les dédales sombres du ksar. Certains y verront un manque de profondeur, mais il s'agit d'un choix délibéré de la jeune cinéaste. Une manière comme une autre de tordre le cou aux idées reçues. Yasmina Chouikh a qualifié le jeu de sa principale actrice de sublime.
Attention talent ! «Elle a donné vie à mon scénario. Elle s'est donnée à fond», a-t-elle dit, pas du tout gênée par le fait qu'elle s'exprime en accent algérois dans un film qui se déroule dans la Saoura. «Je ne voulais pas changer l'accent de Ambar. La comédienne n'aurait pas été à l'aise. Il est vrai qu'en Algérie, on connaît les régions et les accents. Mais quand on montre le film à l'étranger, les gens ne font pas la différence entre les accents», s'est-elle justifiée. Il est évident que pour l'authenticité de la trame, Ambar aurait dû user le dialecte de la tribu où elle vit. Le tournage fait en HDCam a donné de belles images du grand Erg occidental et de l'oasis de Taghit, accompagnées par des musiques éparses composées par Khaled Barkat. Charles-Hubert Morin, le directeur photo, a ajouté une touche poétique, mettant plus en valeur des paysages beaux à l'origine. «Au départ, je voulais faire un conte. J'ai gardé en tête les belles images des contes des Mille et Une Nuits. D'où la présence forte des images dans El Djinn», a relevé Yasmine Chouikh. Le dialogue et la narration, dans ce film, sont peu présents, les images disent beaucoup de choses mais cela peut être interprété comme une légèreté dans la réalisation. Le langage cinématographique transcende les frontières, nul besoin de forcer le trait ou faire plus bleu que le ciel. La cinéaste a voulu faire un long métrage avant de changer d'avis. Résultat : l'histoire d'El Djinn est condensée au point où l'on a l'impression que l'habit est trop étroit. Les images et les scènes défilent à une allure rapide. Elle sont parfois insaisissables. Cependant, il aurait été trop risqué de traduire l'histoire sous forme de long métrage en raison du caractère délicat du thème, surtout pour une jeune qui fait ses premiers pas dans le septième art. «Utiliser l'image pour évoquer quelque chose d'invisible n'est pas facile. Ce sont généralement des films de fin de carrière. Le sujet est complexe. Dans notre société, il faut qu'on réapprenne à parler cinéma. Et le court métrage est, pour moi, l'occasion pour le faire. Malheureusement, c'est une habitude qui s'est perdue faute de films et de salles», a observé le cinéaste et producteur Belkacem Hadjadj. Yasmine Chouikh a la modestie de dire qu'elle veut apprendre et qu'elle est même critique vis-à-vis de son travail. Elle a écrit le scénario d'El Djinn en 2007 après une première visite à Taghit, inspirée par l'étrangeté d'un ksar vide. Elle s'est dite que le ksar était hanté par... un djinn. Le casting du court métrage, qui a été tourné en janvier 2010 et qui est produit par Acima films, est marqué par la présence de comédiens amateurs de Béchar, tels que Mohamed Nadour, qui a interprété le rôle du père, et Fatima Zohra Meghfour. «C'est compliqué de tourner dans le Sud. Nous avons eu la pluie et le vent de sable. Les gens de Taghit et la wilaya de Béchar nous ont beaucoup aidés. L'ambiance était favorable sur place», a déclaré Yasmine Chouikh.
Sélection dans les festivals… Elle espère que son film soit sélectionné dans les festivals. Les organisateurs du Festival du film arabe d'Oran ne l'ont pas encore contactée. Journaliste à Canal Algérie, Yasmine Chouikh va animer une émission à la rentrée intitulée «Fenêtre sur court», consacrée aux courts métrages. «Je lance un appel aux jeunes cinéastes pour envoyer des copies de leurs films pour qu'on puisse les programmer dans cette émission», a-t-elle insisté. Fille des cinéastes Mohamed et Yamina Chouikh, Yasmine Chouikh, 28 ans, diplômée de l'Ecole supérieure des métiers de l'image et du son de Paris, a réalisé son premier court métrage, El Bab, en 2007. Elle a assisté son père dans la fiction Douar N'ssa. Et elle a assuré depuis 2005 la direction artistique du Festival international du court métrage de Taghit, une manifestation aujourd'hui à l'arrêt pour des raisons inconnues.