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Les migrations transsahariennes, une mondialisation par la marge (3e partie)
Publié dans El Watan le 31 - 10 - 2005

La répression des migrants devient même une nouvelle ressource pour des fonctionnaires corrompus encouragés par la déliquescence des Etats et aggravant les conditions de traversée déjà dramatiques. Ainsi en Algérie l'abus des policiers est tel dans le « commerce du refoulement » qu'il a fallu les « doubler » par la gendarmerie, ce qui, selon les migrants, a pour effets de multiplier leur « dîme ». Dans ce pays aussi bien qu'au Maroc, les rackets et la violence des rafles contre les migrants (tabassage, destruction et vols de biens, violations de domiciles) sont tels que, malgré les limites imposées à l'expression publique, associations et presse s'en font l'écho et laissent entrevoir l'émergence de cette question comme un des catalyseurs du renforcement du poids des sociétés civiles maghrébines. L'effet le plus inquiétant de cette répression est que les expulsions massives consistent pour l'essentiel à se débarrasser des migrants dans des no man's land désertiques et produisent au Sahara un nouveau type d'espace, des espaces de relégation. Mais les migrants, relégués, pour survivre dans ces confins désertiques, y organisent leur propre « enfermement », produisant un nouveau type d'espace de relégation, des « camps d'auto-enfermement ». Ils sont ainsi enfermés au Sahara, en dehors de l'espace Schengen. Et au Sahara, leur « enfermement » se fait au dehors de tout espace répressif fermé. En dehors de l'Europe, en dehors du Maghreb, dans des confins situés pratiquement au dehors de tout cadre territorial étatique, les migrants sont livrés au « dehors » d'une nature dont la seule opacité assure une claustration « ouverte », dans le dehors. Ces espaces se déploient selon une ligne discontinue parcourant les confins nigéro-libyens et algéro-maliens. C'est là que sont « lâchés » les migrants raflés et refoulés. A Tin Zouatin, à la frontière algéro-malienne, l'un des trois points de refoulement des migrants africains par l'Algérie (les deux autres étant Bordj Moktar à la même frontière, 400 km plus à l'Ouest et In Guezzam à la frontière algéro-nigérienne), nous avons pu vérifier qu'au cours des mois de décembre 2004 et janvier 2005, les refoulements se faisaient au rythme de 300 à 600 personnes, une à deux fois par semaine, une moyenne donc, à ce seul point, de 3000 personnes par mois (selon les autorités consulaires nigériennes, il y en aurait autant à In Guezzam). Les migrants raflés y sont lâchés, à quelques centaines de mètres d'un lit d'oued marquant la frontière, et rejoignent les ruines d'un village touareg malien détruit où ils organisent leur survie, faisant eux-mêmes de ce village en ruines le lieu d'une « détention ouverte ». Si la Libye médiatise des « rapatriements » par avion, l'essentiel des refoulements se fait par camion vers Dirkou à l'intérieur du territoire nigérien et assez souvent à Tumu ou Madama, à proximité de la frontière où ils sont censés être récupérés par des relais africains. Or, dans la pratique, les refoulés s'y entassent dans des conditions déplorables. Dirkou que nous décrivions il y a cinq ans comme la ville transit ayant connu une formidable explosion du fait de cette activité devient une ville de rétention où « s'enferment » les migrants refoulés. La Libye annonce, à elle seule, avoir refoulé 54 000 personnes au cours de l'année 2004 : presque autant qu'il en passait, au moment des plus importants flux, par Agadez qui en canalisait la majeure partie. C'est comme si l'on assistait depuis 2003 à une inversion des flux. Or, dans la pratique, il n'en est rien. A part les refoulés par avion (moins d'un dixième des refoulés de Libye), il y a très peu de migrants qui retournent dans leurs pays d'origine. A Tin Zouatin, les transporteurs clandestins, prévenus par leurs complices policiers, devancent même les convois de refoulement pour proposer aux refoulés, parfois à crédit, de les ramener sur Tamanrasset d'où ils venaient de se faire refouler. Si le débat intervenu en Europe sur l'installation de camps de transit au Maghreb trouve des antécédents dans la gestion européenne des migrations dès 1986 avec les propositions d'externalisation que proposait alors, déjà, le gouvernement danois (13), ces pratiques de relégation montrent que le terrain a déjà devancé, dans le pire, les débats. Et elles ne sont pas nouvelles non plus, puisqu'au moment même où la Libye se présentait encore comme un « pays d'accueil », il y a 5 ans, nous avons signalé l'existence de camps de rétention avec des conditions d'incarcération moyenâgeuse et relevé des incarcérations qui remontaient à 1996 (14). En voulant « déporter » et « délocaliser » les dysfonctionnements de l'espace humain méditerranéen, le risque est grand d'aboutir à une aggravation et une multiplication des facteurs d'instabilité sur le flanc sud de l'Europe. Le premier des risques est qu'en voulant renforcer la fonction répressive des pays maghrébins dans la lutte contre l'immigration, on aboutisse fatalement à renforcer leur caractère répressif, alors que le passif démocratique est déjà lourd dans ces pays et qu'il est à la source de leur stagnation ; et ses conséquences directes et indirectes sont productrices de répulsion de leurs citoyens et alimentent justement, en plus de l'instabilité, des flux migratoires. Enfin, en les prenant en étau, on met en difficulté les pays maghrébins. En voulant faire pression sur eux et en voulant les embrigader dans un rôle de supplétifs de la répression, on aboutit à tendre à vider la notion d'Etat-nation de sa substance et à amoindrir ses capacités de régulation sociale et spatiale, dont justement le contrôle de son territoire. Un affaiblissement de l'Etat qui ne nuit nullement à la perpétuation des groupes dirigeants qui instrumentent ces flux depuis les agents qui organisent ou sont complices de ce trafic (15) jusqu'aux dirigeants qui, se légitimant de ce nouveau « risque », négocient, pour se perpétuer, le rôle de « sentinelle avancée » et de « supplétifs de la répression », réduisant l'Etat au rôle d'interface de négociation et de captage des aides et, de facto, de légitimation internationale. L'acceptation par la Libye de la présence de militaires italiens sur son sol pour y surveiller les migrants sert surtout ses dirigeants pour se relégitimer. Ces migrations ajoutent donc au contexte de fragilisation aux portes méridionales de l'Europe et la tentation des pays européens d'y déporter leurs dysfonctionnements risquerait d'aggraver la situation et d'y créer des situations explosives.
Le Sahara, une ligne de différenciation et de confrontation entre le Sud
Devant le verrouillage de l'Europe - et à défaut ou dans l'attente d'y accéder -, les candidats à l'émigration deviennent immigrants clandestins au Maghreb. D'espace de transit, celui-ci devient donc, de plus en plus, espace d'immigration. Et c'est dans cet espace que se font surtout ressentir les effets de flux migratoires qui, bien que tendus vers l'Europe, y accèdent si peu. Ces flux sont à la source de toute une économie de la migration informelle dont les enjeux, très importants, l'enracinent dans la réalité et rendent illusoires l'idée de la combattre. Cette économie est génératrice de ressources liées en premier lieu à la phase et à la fonction de transit dans les pays du Sahel. Elle acquiert ainsi une grande importance pour les espaces de transit, en général parmi les plus pauvres au monde, à l'image du Niger, devenu plaque tournante de ce trafic, et où elle est une ressource vitale. Aussi s'y organise et prospère légalement, au grand jour, toute une « économie du voyage » autour d'une émigration pourtant illégale et clandestine. L'importance relative de cette ressource est telle que l'Etat en est le premier organisateur et le bénéficiaire direct à travers un système de « taxes de passage ». En sus, elle lui sert de ressource politique, l'activité liée au transit (notamment le transport des migrants) étant attribuée sur une base politique et clientéliste. C'est jusqu'aux ancestrales tribus nomades (les Touaregs essentiellement) qui, affectées par l'impact de ces flux, renouvellent leurs fonctions de guide et de convoyeur en se positionnant comme passeurs. Et, renouvelant leur fonction de passage, ces tribus renouvellent, par là, les pratiques caractéristiques des tribus nomades marquées par le double rôle du « convoyeur/pilleur » : elles s'enrichissent autant du convoyage que du pillage, le pillage renforçant leur fonction de convoyage. Ainsi, parmi les migrants « convoyés », beaucoup sont-ils dépouillés de leurs biens et abandonnés. C'est au Maghreb qu'apparaissent mieux les enjeux économiques de cette migration. Les migrants africains y constituent une réserve flottante de main-d'œuvre, dont la faible rémunération et la disponibilité pour les travaux pénibles, notamment en milieu saharien, en font une appréciable source de profits pour les économies locales. Des secteurs entiers de l'économie saharienne - notamment dans le BTP et la mise en valeur agricole - doivent ainsi leur rentabilité à cette main-d'œuvre. Mais cette dernière est aussi de plus en plus présente dans le nord du Maghreb, où elle fournit notamment une part croissante de la domesticité. L'importance stratégique du Sahara pour les Etats maghrébins, l'importance des projets de développement qui y sont initiés et la présence encouragée d'entrepreneurs ont pour conséquence une tolérance à l'égard de ces derniers dans l'utilisation d'une main-d'œuvre qui accroît leur rentabilité. Ces entrepreneurs sont, de fait, des notabilités locales et des relais du pouvoir, qui, en pratique, ont assez de prérogatives pour gérer, localement, la question des migrations dans le sens de leurs intérêts. Par beaucoup de ses aspects, cette « immigration clandestine » reproduit, quasi-schématiquement, les caractéristiques et la place qu'occupe celle d'Europe. C'est les mêmes secteurs qui l'utilisent et fondent dessus leur prospérité : BTP, agriculture, restauration-hôtellerie, confection et domesticité. Concernant la confection la position des migrants africains est confortée, de plus, par l'évidente tonalité africaine des tenues vestimentaires dans le sud du Maghreb et leur savoir-faire en ce domaine. Pour la domesticité, un « irrédentisme social », hérité d'une fiction d'égalitarisme remontant à la guerre d'indépendance et rendant les Algériens, malgré leur évidente paupérisation, réfractaires à ce type de travail, fait des Africains les pourvoyeurs d'un secteur que le creusement des inégalités favorise. On pourrait reprendre à son compte les propos d'Andréa Réa sur le statut de clandestinité et de sa pérennisation en Europe : « (elle) est connue de la plupart des acteurs sociaux, économiques et politiques ; (et)...répond aux exigences économiques de certains secteurs d'activité... » (16) La présence de ces migrants est tellement inscrite dans les réalités économiques locales des villes sahariennes que même les grandes vagues d'expulsion massives sont, de fait, sélectives. Elles épargnent toujours une bonne partie, ceux qui, dans le moment, sont intégrés à une activité et qui bénéficient, momentanément, de la protection de leur employeur et de ses complicités. Il se met donc en place une véritable économie de la traite, mêlant notables et entrepreneurs locaux, mafias locales et sahéliennes, agents de l'Etat : traite de main-d'œuvre pour les chantiers et la domesticité, traite des « Blanches » (en l'occurrence, ici, il s'agit de « Noires ») pour la prostitution, filières de racketteurs et de passeurs pour le transit. (A suivre)
Article paru dans la revue Maghreb-Machrek n°185, automne 2005, édité par l'IEP, Paris
Notes de renvoi :
13) C. Rodier, (2004) « Les camps d'étrangers, dispositif clé de la politique d'immigration et d'asile de l'Union européenne », dans P-A. Perrouty, La mise à l'écart de l'étranger, centres fermés et expulsions, Labor, 2004.
14) Bensaâd A. (2001) « Avec les clandestins du Sahel » in Le Monde diplomatique, Paris, septembre 2001, pp. 16-17.
15) Le trafic des cigarettes transitant par le Sahara, parce qu'un des plus juteux et un de ceux dont la « traçabilité » est la plus aisée illustre le mieux l'implication des groupes dirigeants, à différents niveaux dans les trafics transfrontaliers et donne donc une idée de leur instrumentation dans d'autres secteurs. En Mauritanie où les importations légales, représentant deux fois et demie la consommation locale, sont le monopole d'un groupe économique lié à la famille présidentielle. En Libye où le transit est assuré par la tribu des Gueddadfa (dont est issu Kadhafi) dont il traverse le territoire et dont nous avons eu à constater, sur le terrain, l'impunité sur les chemins mêmes des migrations (voir Bensaâd A., 2003, 2001). Au Maroc, dans les régions sahariennes en situation potentielle de guerre, où le trafic est entre les mains de la hiérarchie militaire et est même l'objet d'une redistribution jusqu'aux plus bas de l'échelon pour « arrondir » les soldes et être un facteur de motivation, au « triangle de guerre » entre Maroc, Mauritanie, Algérie et camps de réfugiés sahraouis où il est à la base d'une « économie de la guerre » où même les réfugiés sahraouis et les hiérarchies de leur mouvement y puisent des ressources (voir Antil Alain (2002) : Une dimension mal connue du conflit du Sahara-Occidental : la position de la Mauritanie, Afrique contemporaine, n°201, janvier-mars 2002, pp. 83-88). En Algérie où il fonde un des éléments de puissance des groupes dénommés par les observateurs locaux « mafia politico-financière » (lire Hadjadj Djillali (2001) Corruption et démocratie en Algérie, Paris, La Dispute) et dont nous avons eu à constater dans la région de Tamanrasset l'évidente puissance (flotte terrestre plus performante que celle de la douane et de la gendarmerie) et les évidentes ramifications pour le « blanchiment » d'argent : les mêmes éléments identifiés comme « trafiquants » de l'autre côté de la frontière disposent à la frontière même, à Tamanrasset, de dépôts financiers légaux considérables. L'affectation dans ces confins désertiques, à 200 km d'Alger, est tellement courue pour les possibilités de trafics transfrontaliers que, loin d'être le « bannissement » de fonctionnaires qu'elle fut, elle est l'objet d'un grand trafic d'influence et de corruption pour être arrachée. L'affaire Hadj Bettou avait révélé non seulement l'importance des trafics transsahariens et des « barons » qui les organisaient, mais aussi leur instrumentation par les services qui les manipulaient pour l'infiltration des mouvements de rébellion dans les pays voisins et les utilisaient également pour leur enrichissement personnel. Les intrigues liées à cette affaire ont été un facteur important parmi un faisceau d'autres qui ont permis une « faisabilité » de l'assassinat du président Boudiaf (lire Devoluy Pierre et Duteuil Mireille, 1999) : La Poudrière algérienne, histoire secrète d'une République sous influence, Paris, Calmann-Lévy ; Aggoun Lounis et Rivoire Jean Baptiste (2004) : Françalgérie, crimes et mensonges d'Etat, Paris, La découverte).
16) Réa A., in Eclats de frontières, La pensée de midi, Actes Sud, 2004.


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