L'air souvent absent et le remerciement facile, Salim a la tête d'un honnête homme, ce qu'il nie généralement quand on le lui fait remarquer. Salim n'a pas de problèmes ou alors beaucoup, ce qui pour lui, féru de mathématiques et de topologie, revient au même tant la forme n'est que l'antiforme vue de l'autre côté et le concave, un simple convexe qui s'ignore. Pourtant, Salim, impénitent buveur de néant, a un problème et un vrai. La sagesse de raison mais non pratiquant, Salim n'aime pas vraiment l'alcool mais adore par-dessus tout l'état de conscience particulier qu'il lui procure. A tel point qu'il arrête de boire 11 mois avant le Ramadhan pour ne pas être soumis au sevrage pendant le 12e. En théorie, puisqu'en pratique il ne s'arrête qu'épisodiquement entre deux faux sevrages et entre deux vraies descentes aux enfers par l'escalier de service. Parce que Salim absorbe du néant comme une couche Pampers absorbe ce qu'elle doit absorber. En perpétuel déséquilibre au-dessus du vide, Salim a depuis longtemps compris qu'il valait mieux ingurgiter ce vide pour le digérer plutôt que de vivre au-dessus, avec le risque de tomber dedans. S'il vit en Algérie, Salim aurait tout aussi bien pu vivre en Nouvelle-Guinée qu'en Islande, avec ce même sentiment qu'il faut accomplir sa peine, comme un prisonnier condamné, sans possibilité d'appel, à perpétuité. Pour ce mois de Ramadhan, Salim a observé le jeûne comme tout le monde, sans conviction religieuse particulière ni foi dévorante, attendant la fin mollement, sans impatience visible. Sauf que pour l'aïd, il s'est préparé, comme tous les buveurs. Il a acheté tout ce qu'il faut et s'est mis psychologiquement en état pour la quille. Pourtant ce n'est pas sûr mais presque, Salim ne va rien boire au lendemain de l'aïd. Parce que Salim aura trop peur d'être encore obligé d'arrêter dans 11 mois.