La commémoration de l'anniversaire du 1er Novembre 1954 coïncide cette année avec la polémique née de la loi scélérate adoptée par l'Assemblée nationale française, en février dernier, glorifiant le colonialisme en Algérie. La France officielle avait sous-estimé la réaction de l'Algérie en s'aventurant sur ce terrain sensible de la mémoire, pensant naïvement pouvoir monnayer sans peine cette concession faite aux ultras de « l'Algérie française » contre le « traité d'amitié » entre l'Algérie et la France, dont la signature est prévue avant la fin de l'année. Aucun Algérien jaloux de l'indépendance de l'Algérie, arrachée de haute lutte, ne pourrait rester indifférent devant cette nouvelle forme de colonialisme de l'esprit de la part de la France, qui voudrait réécrire l'histoire à rebrousse-poil en niant l'évidence même d'une entreprise coloniale qui dans son essence même tend à occuper un peuple et un territoire par la force et à le déposséder de ses ressources et de sa personnalité. C'est bel et bien ce qui s'est passé en Algérie. On ne peut donc que se réjouir de la réaction unanime de réprobation suscitée par ce texte provocateur et outrageant dans la société, même si les pouvoirs publics ont mis du temps pour répondre aux hostilités ouvertes par cette loi, par calcul politique ou politicien. Pour ne pas compromettre la démarche politique engagée par Alger et Paris pour sceller le rapprochement entre les deux peuples ; une initiative dans laquelle les deux présidents Bouteflika et Chirac ont investi toute leur énergie. Il n'est jamais de trop de rappeler à la France le véritable visage du colonialisme qui s'est manifesté sous sa forme la plus barbare et la plus condamnable en Algérie. Ce devoir de vérité et de mémoire doit être un combat permanent et le combat de tout un chacun pour se prémunir contre toute tentation ou velléité de marchandage de notre histoire. Mais ce processus de sauvegarde et de réhabilitation de notre mémoire, que l'on cherche à nous confisquer, n'aura un impact positif que s'il est porté par une dynamique nourrie des mêmes convictions au niveau interne pour écrire ou réécrire l'histoire de l'Algérie telle qu'elle a été vécue, sans fard ni fioriture, sans tomber dans le travers des régimes totalitaires qui s'approprient le passé pour mieux asseoir leur pouvoir, et s'y maintenir. Au nom de la légitimité révolutionnaire, on a sacralisé et désacralisé des héros et des martyrs - de la Révolution, c'est selon -, confisqué le pouvoir et laissé se constituer toute une faune de vrais faux moudjahids attirés beaucoup plus par l'accès au système de la rente que par une quelconque quête d'une reconnaissance morale avec souvent la complicité des structures officielles et de hauts responsables qui ont encouragé cette opération de hold-up de l'histoire. Sans ce travail interne d'introspection sur nous-mêmes, en ne craignant pas d'aller s'abreuver aux sources de notre glorieuse Révolution pour cerner les épopées de cette révolution tout en ayant le courage politique de relever les failles qui sont le propre de toutes les révolutions populaires, on ne pourrait pas décemment demander à d'autres de respecter notre mémoire et notre histoire si nous ne donnons pas nous-mêmes l'exemple à travers un travail de réécriture objective de l'histoire, la défense des valeurs de Novembre 1954 et de la mémoire de nos valeureux martyrs dont il ne reste pas grand-chose aujourd'hui.