Entre catastrophes naturelles, terrorisme, crise économique et instabilité politique, le Pakistan est en train de vivre une des années les plus tragiques de son histoire. La jeune République islamique, avec ses allures de grand navire en flammes prenant le fond, sera-t-elle capable d'en finir avec cette spirale de cataclysmes successifs ? -Les inondations que subit le Pakistan sont annoncées comme un «tsunami au ralenti». Quel bilan faites-vous de la situation actuelle du pays ? La communauté internationale a eu bien du mal à prendre la mesure exacte de l'ampleur de cette catastrophe. Les inondations ont touché l'ensemble des provinces du pays et recouvert une surface comparable à celle de l'Angleterre. Près d'un Pakistanais sur dix a été affecté. Certes, le nombre de morts -entre 2000 et 3000- paraît faible, mais il faut tenir compte des conséquences à long terme. Avec son agriculture encore peu modernisée, des infrastructures souvent désuètes, voire obsolètes, le Pakistan était déjà fragile. Plus qu'un coup d'arrêt, cette catastrophe représente un véritable retour en arrière pour le pays. -On a beaucoup critiqué le gouvernement d'Asif Ali Zardari pour sa mauvaise gestion de la crise qui aurait fini par faire le jeu des terroristes islamistes. Partagez-vous ce point de vue ? La gestion politique de la crise n'était pas si mauvaise qu'on le dit parfois. Avec peu de moyens, il a dû faire face à des circonstances exceptionnelles. Souvenons-nous de Katrina et de la gabegie du gouvernement américain ! Cependant, le gouvernement, déjà faible avant la crise, renvoie encore une image d'incompétence et même d'insensibilité. Le refus du président Zardari d'annuler son voyage en Europe, à ce moment-là, n'a rien arrangé. Ce sont en réalité les militaires qui ont accompli le plus gros du travail. L'armée est une institution majeure au Pakistan, cette crise n'a fait que la confirmer dans son rôle de pilier stabilisateur. En revanche, les terroristes ont indéniablement profité des inondations pour améliorer leur image auprès de la population. Ils lui ont apporté une aide significative et dans certains endroits, ils sont restés le seul recours dont disposait la population. On observe de plus en plus nettement ce genre de volonté «humanitaire» chez les islamistes, comme en témoignent les deux appels de Ben Laden à la solidarité internationale musulmane. -A quel jeu joue le Pakistan avec les Etat-Unis ? Les documents publiés par Wikileaks mettent en évidence certains soutiens aux terroristes, pourtant le gouvernement continue d'afficher sa volonté de coopérer... Le Pakistan est divisé sur la question américain. Le gouvernement est résolument américanophile, les Etats-Unis restent le principal soutien financier du pays et l'un des garants de sa réputation internationale. L'armée, bien plus puissante, se méfie beaucoup plus. Elle redoute la perte de souveraineté et remet en cause la politique «offensive» des Américains sur la question terroriste. D'où un soutien en demi-teinte qui varie selon les situations. Enfin, l'opinion publique est majoritairement hostile aux Etats-Unis. Elle comprend mal la guerre faite à l'Afghanistan et la présence des militaires américains sur son sol, sans parler de l'utilisation de drones qui a profondément choqué. Tout cela fragilise grandement le président Zardari et de plus en plus de rumeurs prédisent une fin prochaine de son mandat. -Selon vous, comment se profile la sortie de crise ? Pour être honnête, plutôt mal. Cela fait longtemps que le Pakistan cumule les difficultés. Outre celles que nous avons évoquées, on peut citer les multiples conflits internes, l'éternelle rivalité avec l'Inde, une économie proche de la banqueroute, des partenaires occidentaux qui se fatiguent des doubles jeux… Bref l'avenir est sombre. Le pays a parfaitement les moyens de s'en sortir, mais on ne peut s'empêcher de constater qu'il se tient au bord du gouffre.