Pas d'eau à Baba Moussa, alors que le château d'eau de la commune se trouve sur notre territoire et porte le nom de notre village ! », s'écrie un sexagénaire, l'air dépité. Il ajoutera : « Nous n'avons rien demandé depuis l'indépendance et tous les maires nous ont promis cette eau qui n'arrive pas. Je crains de mourir sans pouvoir apprécier l'eau courante à l'intérieur de mon domicile. » Nous voyons des files d'enfants devant le seul robinet d'eau potable pour tout le hameau de Baba Moussa qui relève de la commune de Bouarfa, et « construit par les hommes de la région », précise Nour Eddine, un chauffeur de taxi, qui connaît bien le lieu. L'état de la route menant au village est lamentable. Mais cela ne vaut rien devant la souffrance de ces dizaines d'enfants et d'adolescents courbant l'échine sous le poids des seaux d'eau transportés à longueur de journée ; cela ne vaut rien aussi devant l'ennui de ces jeunes qui n'ont pour unique loisir que de contempler la « grande » ville de Blida du haut de ces chemins qui montent où quelques rares maisonnées sont hérissées d'une parabole permettant de s'offrir le monde chez soi. Pas d'eau, pas de gaz de ville, pas de téléphone. Le hameau de Baba Moussa l'électrification mise à part est donc un coin perdu, alors que le chef-lieu de la wilaya de Blida est à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau. Même l'école primaire, inaugurée en 1984, ne dispose pas d'eau courante. Aux cinq classes au départ, auxquelles ont été ajoutées deux autres depuis peu, avec une moyenne de plus de 45 élèves par classe, l'école ressemble plus à une garderie d'enfants qu'à un lieu d'apprentissage. Au mois de juin dernier, la population s'était soulevée « pacifiquement » en constatant le fait que les travaux d'adduction de l'AEP n'avaient pas été entamés. Le président de l'APC de Bouarfa et le chef de daïra avaient promis alors à la délégation reçue que cela débuterait à la mi-juillet. « Nous sommes à la fin du mois d'août et nous ne voyons rien venir. Voilà ce que cela coûte d'être gentil ! », s'exclame ammi Abdelkader, 67 ans, une larme ruisselant sur des joues ridées, marquées par la souffrance que nos montagnards retiennent en leur for intérieur. Dures conditions de vie Nous voyons un jeune homme escaladant la pente avec une bouteille de gaz sur les épaules. La chaleur dépassait largement les 40°C à l'ombre. « C'est une image courante et il ne faut pas s'en étonner ! », dira le chauffeur de taxi. Juste à côté de l'école se trouve ce qui reste d'un ancien dispensaire qui avait été occupé durant les années noires par un détachement militaire. Il n'en reste que les murs, et tout malade doit « descendre » au village pour se faire soigner ; la course revient à 400 DA pour la majorité de ces familles ne possédant pas de véhicule. Deux boutiques d'alimentation générale permettent l'approvisionnement plus ou moins régulier en denrées de première nécessité et puis… plus rien ! Il ne faut surtout pas dire aux hommes de s'occuper de la terre, de rester « en haut » ! La misère, l'inconfort, le délabrement de la condition humaine même découragent les âmes les plus courageuses. A quelques centaines de mètres plus bas, c'est le village de Sidi Abderrahmane, où le téléphone est arrivé avant le gaz de ville. Ce dernier confort de la vie civilisée est promis dans quelques mois, voire quelques années. Observant les montagnes de Chréa alentour, la ville de Blida en bas avec ses boulevards et ses avenues donne des sensations d'harmonie de l'homme avec la nature mais la réalité tout autour détache l'homme de son rêve éveillé. On se surprend à méditer sur les potentialités touristiques de la région, non mises en exergue, endormies et qui imposent alors des interrogations sur le sens des responsabilités des gouverneurs successifs. Une des plus riches régions du pays est abandonnée, laissée sur le bas-côté de la civilisation, interdite de prendre le train du développement sous prétexte que la commune ne dispose que de quatre millions de recettes fiscales ; celles de la commune de Blida s'élèvent à 570 millions de dinars. Un sentiment de culpabilité colle à la peau lorsqu'il est observé depuis la route en lacets, à chaque virage, le délabrement de ces maisons faites de pierres il y a plus d'un siècle, et dont les habitants commencent à renforcer avec des piliers.