Comment expliquez-vous ce paradoxe de l'économie algérienne qui fait qu'on a un taux d'épargne élevé d'un côté et un taux d'investissement bas de l'autre ? Le taux d'épargne en Algérie, en pourcentage du PIB, est effectivement l'un des plus élevés au monde (57% en 2007 et 52% en 2008). Ceci est dû principalement aux ressources générées par la vente d'hydrocarbures. De l'autre côté, le taux d'investissement est plus faible. La différence est donc «thésaurisée» (environ24% du PIB en 2007 et 2008). Ceci signale donc un problème dans le processus de transformation de l'épargne en investissements, et plus particulièrement en investissements productifs, c'est-à-dire dans une augmentation des capacités de l'appareil national de production. Le paradoxe est d'autant plus important à souligner que l'économie algérienne a faim d'investissements productifs, moteur de croissance et source de diversification. -Pensez-vous que les banques sont trop prudentes en matière de financement de l'investissement ou alors leur prudence est-elle justifiée ? Il est vrai que le rôle traditionnel d'une banque est justement de transformer l'épargne en investissement. De plus, les marchés de capitaux étant à l'état embryonnaire et face à l'absence de fonds de capital investissement en Algérie, seules les banques peuvent être appelées à jouer ce rôle. Or, on observe aujourd'hui que d'une part, les banques publiques qui dominent le marché sont surliquides (environ 25 milliards de dollars) et ont une aversion au risque. Ceci est dû à l'absence de systèmes d'information et de «scoring» efficaces. De plus, rappelons qu'un «mauvais» prêt accordé par un banquier peut relever du domaine pénal. D'autre part, les banques privées étrangères préfèrent financer la consommation, moins risquée et plus rentable et quelques opérations de commerce extérieur. Elles arguent, à juste titre, que les demandes de financement présentées par les entreprises ne sont pas toujours au niveau et que le nombre de projets en lui-même est loin d'être satisfaisant. Enfin, les fonds d'investissement étrangers actifs en Algérie, au-delà des décalages entre les investissements annoncés et réalisés, s'orientent vers les secteurs des services et de l'immobilier. Ainsi, il manque aujourd'hui un acteur pour jouer ce rôle de transformation de l'épargne en investissements productifs. -Qu'est-ce qui doit être fait pour arriver à une transformation réussie de l'épargne en investissement ? Quels sont les mécanismes à mettre en place ? Qui doit remplir cette mission ? Nous avions appelé, il y a quelques mois, à la mise en place d'un fonds d'investissement d'Etat algérien, à l'image d'un Temasek (Singapour) ou d'un Mubadala (Emirats arabes unis). Afin qu'il apparaisse comme un facteur de rupture, nous avions suggéré qu'il soit créé dans une structure nouvelle dont la réussite dépend de deux points-clés : la gouvernance et le «talent management». En 2009, le gouvernement a décidé de créer un fonds national d'investissement (FNI), en reprenant une structure datant des années soixante-dix et connue pour ses financements de projets d'infrastructure (investissements publics) : la BAD. Or, le rôle premier d'un tel fonds est d'être le bras armé des politiques de l'offre algérienne en encourageant les secteurs identifiés comme stratégiques et porteurs de croissance et financer les entreprises tant privées que publiques. Nous constatons avec satisfaction que le fonds monte en charge, petit à petit, pour atteindre cet objectif et investit, de plus en plus, dans les secteurs productifs (Cosider, Saidal) tout en ne s'interdisant pas de s'associer avec des partenaires étrangers (AXA par exemple) avec minorité de blocage. -En quoi un fond souverain national peut-il constituer l'outil capable de mettre en adéquation les besoins et l'offre de financement ? L'investissement productif étant assez lourd et long, celui-ci est généralement financé en grande partie par l'Etat. Prenons l'exemple de la Caisse de dépôts et consignation (CDC) en France ou la Caisse de dépôts et de gestion (CDG) au Maroc. Le fonds d'investissement d'Etat peut être effectivement qualifié de fonds souverain même si, au sens usuel, ces derniers investissent en actions et plutôt à l'étranger. Rappelons que ce fonds est un complément aux institutions financières traditionnelles et n'est pas appelé à les remplacer. Même si ce fonds n'est qu'un outil, et qu'il faut bien évidemment travailler à améliorer l'attractivité du site Algérie, nous pensons qu'il permettra d'avoir un impact fort et des effets d'entraînement appréciables sur le reste des institutions.