Vu de Bamako, le problème posé par AQMI à Tombouctou paraît insignifiant ou, du moins, on ne lui accorde pas du tout le même intérêt que lui porte le voisin algérien. Bamako (Mali). De notre envoyé spécial
Le président malien, Amadou Toumani Touré, n'est même pas d'avis à parler de terrorisme. Dans une allocution prononcée à Bamako, le 14 octobre dernier, devant les participants à la conférence biannuelle du Forum des éditeurs africains (TAEF), il laisse même entendre que cette question ne le concerne pas au premier chef dans la mesure où son pays n'est pas responsable de la situation. En décodé, cela voudrait dire que c'est à l'Algérie qu'il revient de «faire le ménage» puisque les terroristes viennent de chez elle. Si le chef de l'Etat malien ne rate plus aucune occasion pour se dédouaner de l'évolution prise par la situation au Sahel, il n'hésite plus également à déclarer ouvertement son désaccord avec Alger concernant la démarche mise en place pour contrer AQMI. La tenue, le 14 octobre dernier, à Bamako même, d'une rencontre du G8 appuyée par Paris, consacrée au terrorisme au Sahel, à laquelle ont été conviés le Maroc et les pays de la région — l'Algérie n'y a pas participé — en est la meilleure preuve. A ceux, d'ailleurs, qui accusent le Mali d'être le «maillon faible» de la lutte antiterroriste au Sahel, ATT répond avec un certain amusement qu'«il n'y a même pas de chaîne». Une déclaration qui n'ira certainement pas sans provoquer des grincements de dents à Alger, surtout que les autorités algériennes ont investi beaucoup d'efforts et de moyens pour mettre sur pied une coordination régionale en matière de lutte antiterroriste et restent opposées à l'idée d'une intervention militaire étrangère au Sahel. L'Algérie redoute, en effet, que les étrangers, que Bamako veut appeler à la rescousse, trouvent là un prétexte pour s'y implanter durablement. L'avis d'ATT sur la question du Sahel n'est toutefois pas partagé par certains médias maliens qui attirent régulièrement l'attention sur les dangers que présente AQMI. C'est le cas, par exemple, du quotidien privé Nouvel Horizon qui a publié, dans son édition du 15 octobre dernier, une étude à faire dresser les cheveux sur la tête et qui prête l'intention à AQMI d'établir un émirat islamique dans le nord du Mali. Le journal le Monde-Duniya évoque, pour sa part, dans son édition parue le même jour, une volonté des Américains et des Français de créer un «Afghanistan africain» pour mettre la main sur les richesses souterraines de la région. Et la mise en place de ce scénario passerait, selon ce titre, par une manipulation d'AQMI. Les journaux maliens ne sont pas les seuls à avancer de telles analyses. Les spécialistes de la région sont aussi de plus en plus nombreux à admettre le fait que depuis la récente découverte de grands gisements de pétrole, d'uranium et de fer dans le bassin de Taoudéni (une zone de 1,5 million de kilomètres carrés allant de la Mauritanie au Niger en passant par le Mali et l'Algérie), d'importants intérêts économiques cherchent à se servir d'AQMI comme alibi pour légitimer une présence militaire étrangère au Sahel. Bien entendu, l'objectif final recherché par ces intérêts est de s'assurer une part appréciable de ce nouvel eldorado minier. Autrement dit, le Sahel est pris dans l'engrenage infernal d'une géopolitique compliquée qui risque, à tout moment, de le précipiter dans le chaos. Une géopolitique dont les enjeux, ressort-il, sont perçus différemment dans la région. Et c'est probablement de là que pourraient découler les divergences constatées actuellement entre Alger et Bamako sur la question d'AQMI. Et comme toujours, les populations de la région paraissent, encore une fois, bien loin de s'imaginer de ce qui se trame derrière leur dos.