De récentes informations font état d'un nombre impressionnant d'entreprises publiques dont le déficit aurait dépassé les limites permises par les lois en vigueur. Elles devraient donc faire l'objet d'un redressement judiciaire ou d'une mise en faillite. S'en est suivi un débat houleux sur la pertinence de leur mise en faillite et quels seraient les gains et les pertes qui s'en suivraient pour le pays en cas de leur liquidation. Nous constatons de profondes divergences entre la communauté des économistes (ou spécialistes en sciences de gestion) qui sont très majoritairement pour ; et le reste : politiciens, ingénieurs et simples citoyens qui sont pour la plupart contre. De quoi s'agit-il ? Une économie de marché prospère grâce au procédé de la création destructive ou mécanisme schumpétérien. Des entreprises se créent et d'autres sont reprises et redressées ou simplement mises en faillite. L'acte de banqueroute doit être banalisé. Il ne peut pas y avoir d'économie de marché sans faillite. Le capitalisme implique que la vaste majorité des entreprises seraient à l'intérieur d'un champ où la compétition est la règle. Les entreprises mal gérées disparaissent. Il n'y a plus de place pour celles qui détruisent des ressources. La faillite est une pression très efficace pour l'amélioration des performances. Les entreprises menacées redoublent d'efforts pour s'améliorer. L'image des managers d'entreprises en faillite se détériore. Ils feront tout pour éviter cette fin malheureuse qui pulvérise également leur carrière. Lorsque le trésor ou les crédits bancaires de complaisance retardent le processus, les gestionnaires deviennent laxistes. Mais il y a deux avertissements fondamentaux dans ce domaine. En premier lieu, il y a des exceptions. Tous les pays le font. Certaines entreprises stratégiques seront soustraites au mécanisme de la faillite. En Algérie, nous pouvons identifier quelques entreprises à exclure de la faillite. Sonatrach, Sonelgaz, SNTF, Air Algérie en feraient sûrement partie. En second lieu, les pouvoirs publics doivent disposer de plans sociaux pour prendre en charge les ressources humaines déstabilisées. Certaines personnes bénéficieront de crédits pour créer des micro-entreprises, d'autres seraient formées et reversées dans d'autres secteurs. Il faut garantir au personnel que nul ne sera abandonné sans ressources suffisantes. C'est à ce prix que la population va adhérer au processus et en même temps disposer d'une économie d'innovation et de production de richesse. La Chine a pu faire progresser ses réformes sans heurts sociaux grâce aux mécanismes de prise en charge des personnes éjectées par la faillite ou la privatisation. Il en est de même pour la Pologne. Ces pays n'ont pas inventé ces programmes socioéconomiques d'accompagnement des faillites, ils les ont surtout utilisés en pratique. La culture des crédits bancaires de complaisance fait des ravages au sein d'une économie qui se cherche. Il faut s'en sortir le plus rapidement possible. Les pouvoirs publics contemplent ce scénario uniquement lorsque la rente pétrolière se rétrécit. Alors l'Etat se réclame comme un adepte zélé des mécanismes de marché. On laisse jouer quelque peu le mécanisme schumpétérien. Mais lorsque les prix de l'énergie flambent, les autorités reprennent leur rôle de distributeur de la rente sans contrepartie. L'économie s'habitue à l'irrationalité. Le travail, la science et la rigueur sont découragés. La société toute entière va hiberner alors que le reste du monde prospère. Enfin, toutes les études rigoureuses (économétriques) montrent que les pays qui ont les taux de faillites les plus élevés créent plus d'emploi et de croissance. Incompréhension du phénomène : Il est facile de comprendre pourquoi certains politiciens et citoyens ordinaires se positionnent contre la mise en faillite d'une entreprise, surtout publique. Prenons le cas d'une briqueterie qui emploie 300 personnes. Pour ces citoyens, voilà ce qui va se passer si on liquidait l'entreprise : 1. Nous aurons 300 personnes en chômage ; 2. Le pays perdra la production de X tonnes de briques par an ; 3. Nous allons importer ces X tonnes de briques par an ; 4. Les 300 personnes font vivre 1500 personnes et les priver de leur salaire va avoir des effets néfastes sur le commerçant et la misère s'installe. Si la situation qui est décrite est valide, alors nous serons tous contre la mise en faillite des entreprises. Mais ceux qui réfléchissent ainsi ne connaissent rien aux mécanismes économiques. «Peu de connaissances sont de dangereuses connaissances». L'image développée ci-haut est fausse et trompeuse. Elle n'est qu'une vue de l'esprit de personnes peu initiées aux mécanismes économiques. Les adeptes du « positivisme » dans le domaine des sciences sociales ont de tout temps expliqué que parfois et peut-être souvent les phénomènes sociaux sont contre intuitifs. En réalité voilà, ce qui va se passer : 1. On met en vente les équipements de production qui étaient mal utilisés par l'ancienne entreprise. Deux ou trois petites briqueteries et des PMI de matériaux de construction vont démarrer en achetant l'outil de production de l'entreprise liquidée. 150 à 200 emplois seront créés. Les équipements de production ne sont jamais mis à la casse ou jetés lors d'une opération de faillite. Ils sont tout simplement recyclés. La liquidation des entreprises publiques locales avait permis à trois fois plus de PME/PMI privées de naître de leurs cendres ; 2. Quelques personnes vont acheter les camions de l'entreprise liquidée pour créer une entreprise de transport, d'autres vont acquérir les équipements informatiques pour fonder des PMI spécialisées en TIC ; certains vont se procurer les immeubles et les terrains pour constituer des entreprises de services, d'agroalimentaires, etc. Sur les vestiges d'une entreprise mise en faillite jaillissent toujours des dizaines d'autres qui à terme vont créer trois à quatre fois plus d'emplois. Au total, sur quatre à cinq ans, les entreprises nouvelles peuvent créer plus de mille emplois et produire quatre à cinq fois l'output de l'entreprise liquidée ; 3. Par ailleurs, une entreprise en situation de faillite continue à survivre grâce aux crédits de complaisance qu'elle ne remboursera jamais ou aux subventions de l'Etat. La mise en faillite permet à l'Etat d'utiliser ces ressources pour créer quatre à cinq autres entreprises (effet levier) du même genre et donc procurer à l'économie annuellement trois à quatre fois plus d'emplois et de production. La non mise en faillite des entreprises non stratégiques aboutit à de terribles conséquences. Les anti-faillites ne savent peut-être pas que ce sont les crédits de complaisance et les subventions qui créent les «hittistes» et les «harragas». Ils veulent sauvegarder l'emploi et la production nationale, mais leurs recommandations aboutissent à les détruire tous deux. Ils se leurrent en confondant leur intuition avec une réalité beaucoup plus complexe que leur imagination. On ne peut pas jouer à l'économiste sans l'être et sans causer des dégâts par des recommandations que tous les pays de la planète rejettent. Ils confondent les interventions des pays développés (sauvetage de General Motors) avec leur schéma de subvention. L'ingénierie financière déployée pour sauver les banques et les entreprises (stratégiques) dans les pays développés est sous forme de prêts ou d'actions qui seront vendus avec profit. GM a déjà repayé par anticipation ses dettes. Il ne s'agit nullement de crédits de complaisance ou de subventions irrécupérables. Les adeptes anti-faillite feraient bien de comparer les montages financiers des deux types d'intervention. Mais la recommandation essentielle que l'on peut faire à nos décideurs publics est la suivante : nous avons besoin d'un programme d'accompagnement des restructurations (faillites, privatisation, etc.) qui ne laisse aucun travailleur ou cadre dans le besoin. Certains vont bénéficier de crédits pour créer des micro-entreprises, d'autres seront formés puis versés dans d'autres entités, le reste sera pris en charge jusqu'à son positionnement sur un nouvel emploi. Aucun membre de l'entreprise ne doit être laissé dans le besoin. Il est même fortement recommandé que les travailleurs puissent bénéficier en priorité de l'acquisition des équipements (à crédit) pour créer eux- mêmes les entités qui vont jaillir de l'entreprise destructrice de ressource et d'emploi (moyennant leur accompagnement par un bureau d'études). Conclusion : Nous avons créé beaucoup de fonds dont certains sont utiles (régulation), mais il nous reste le plus important pour accompagner et accélérer les réformes (fonds de restructuration). Il servira à former, à accompagner dans le cadre de la création de micro-entrprises ou à prendre en charge socialement toutes les personnes éjectées dans le contexte de la privatisation ou la mise en faillite. Bien géré, il aurait un retour sur investissement économique très important. Ce fonds existe sous une forme ou une autre en Pologne, en Chine et ailleurs. Il a un rôle aussi bien économique que social. Ainsi, aucun Algérien ne doit être laissé- pour-compte lors des privatisations ou des faillites. Les dispositifs qui existent actuellement sont trop légers et peu efficaces. Au lieu de faire cette recommandation, les anti-faillites proposent un schéma des plus irréalistes : subventionner toute sorte d'entreprise publique pour l'empêcher de partir en faillite. Ce serait l'équivalent d'un écologiste idéaliste et naïf qui dirait : «Nous devons tout faire pour qu'aucun animal ne meurt dans la jungle.»