Les langues se délient pour affirmer, en off, que le juge d'instruction ne dispose pas d'une bonne protection, ainsi que d'outils nécessaires pour mener une enquête fiable. La justice est-elle en mesure de statuer de manière impartiale et juste dans les affaires de corruption ? Les magistrats ont-ils les compétences qu'il faut pour se pencher sur ce genre de dossiers complexes qui pèsent des milliards et aux ramifications diverses et intérêts contradictoires ? Dans le discours officiel, dès que la question est abordée, on rappelle les réformes dont a fait l'objet le secteur et les multiples formations aussi bien en Algérie qu'à l'étranger organisées au profit des magistrats. Mais en off, les langues se délient pour affirmer que le juge d'instruction ne dispose pas d'une bonne protection, ainsi que d'outils nécessaires pour mener une enquête fiable. Toujours sous le couvert de l'anonymat, cet ancien magistrat, puis procureur de la république, avant de se convertir dans la défense, est catégorique. “Le juge d'instruction même s'il ne reçoit pas de directives fermes, il va tenter de faire plaisir à sa chancellerie. C'est de l'autocensure. Aucun magistrat ne vous dira pas, d'ailleurs, qu'il a reçu des directives. Devant l'importance de ces affaires, le magistrat ne joue pas son rôle. Ces dossiers, sous surveillance, ont une connotation politique et dès que le politique intervient tout est faussé”. À la cour d'Alger, des avocats nous ont fait part de l'hésitation et parfois du refus de certains magistrats de prendre en charge ces dossiers épineux sous prétexte notamment de manque de protection. Information démentie par le président du syndicat national des magistrats algériens, M. Djamel Aïdouni, pour la simple raison, selon lui, qu'“ils n'ont pas le droit de refuser une enquête judiciaire”. Les récents scandales qui ont éclaboussé des secteurs stratégiques de l'économie nationale, à l'instar de celui des hydrocarbures à travers l'affaire Sonatrach et celui des travaux publics à travers le projet de l'autoroute Est-Ouest, ont mis en évidence l'acuité et l'étendue du phénomène de la corruption. L'affaire Khalifa aurait pu servir de déclic pour instaurer les règles modernes et transparentes de gestion de l'économie fondées sur l'orthodoxie et le respect des lois en vigueur. Le cours imprimé par la justice à cette affaire, réduite à un délit de droit commun et d'escroquerie d'un golden boy indélicat auquel on a fait porter presque seul la responsabilité de la banqueroute du groupe Khalifa, a vite fait de faire voler en éclats les espoirs soulevés auprès de l'opinion publique. Le pays a ainsi raté une occasion historique pour refonder son système économique, financier et bancaire et affirmer d'une manière ferme et résolue son engagement à déclarer une guerre sans concession à la lutte contre la corruption. Les récentes affaires de corruption, qui ont occupé les devants de l'actualité nationale au cours de ces derniers mois, se nourrissent des mêmes causes et ne manqueront sans doute pas de se surajouter à d'autres scandales du genre dans les semaines et mois à venir. À travers ces affaires, c'est toute la crédibilité, ou ce qu'il en reste, de l'appareil judiciaire qui est en jeu. L'attente des citoyens dans le verdict de ces procès est à la mesure des préjudices financier et moral occasionnés. Quand la confiance ne règne pas au sein de la première entreprise du pays, Sonatrach en l'occurrence qui assure le pain quotidien des algériens, faut-il alors désespérer de l'Algérie, de tous les moyens de contrôle qui, selon toute apparence, n'ont pas fonctionné ? En tout cas, les avocats ne se font pas d'illusions sur l'issue de ces procès. Me Mokrane Aït Larbi ne va pas par trente-six chemins pour expliquer les limites du pouvoir des juges. “Le parquet dépend du pouvoir politique, les procureurs exécutent des instructions écrites de la hiérarchie, c'est pourquoi des personnalités citées dans des affaires ne sont pas poursuivies”, observe-t-il. Preuve en est, soutient-il, un procureur qui a mis au jour des affaires contre l'avis de la hiérarchie a été radié par le Conseil supérieur de la magistrature. L'ancien ministre de l'information, M. Abdelaziz Rahabi, n'en pense pas moins. “On ne peut dissocier le magistrat de son environnement, il y a des responsabilités politiques et organiques qu'il faut situer et faire assumer”, renchérit-il. Les hommes de loi s'en défendent. “On n'a pas un rôle politique, les magistrats traitent des dossiers suivant les procédures judiciaires et pénales et en respectant la loi et la constitution et dans le respect de la présomption d'innocence et le droit de la défense”, soutient, pour sa part, M. Aïdouni, président du Syndicat national des magistrats algériens. En tout état de cause, la montée au créneau de la DRS qui s'est emparée des deux dossiers de Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest peut-elle être interprétée comme une sanction négative de l'appareil judiciaire pour sa gestion jugée timorée de certains dossiers sensibles et une volonté des services extrajudiciaires de recadrer les investigations autour de ces dossiers, loin des pressions et des interférences ? Cette thèse est bien évidemment loin d'être partagée par ceux qui voient toujours un mauvais présage pour la démocratie et l'Etat de droit dans l'intrusion de cette institution dans des sphères qui ne relèvent pas de son domaine de compétence. M. Aïdouni n'y voit pourtant, dans l'implication de la DRS dans ces dossiers, aucune disqualification de la justice. “La loi le prévoit, la police judiciaire de la Sûreté nationale, la gendarmerie, la DRS peuvent mener des enquêtes en collaboration avec le parquet qui doit être informé et à qui revient la délivrance du mandat de perquisition”, précise-t-il. Il reste à savoir alors pourquoi ce service réputé pour sa discrétion et son caractère secret a-t-il dans ces affaires décidé de sortir de l'ombre et de médiatiser ses activités en annonçant publiquement l'ouverture des investigations ? LIRE TOUT LE DOSSIER EN CLIQUANT ICI