La hantise de se faire payer en fausses monnaies est en train de prendre une tournure dramatique au marché hebdomadaire de Mesra, qui est le souk le plus important de l'ensemble de l'Oranie, avec notamment le marché des véhicules et autres engins agricoles ou de travaux publics. Sans doute échaudés par l'indisponibilité récurrente des billets au niveau des agences postales de la région, voire de l'ensemble du pays, les acheteurs se sont vu opposer un niet catégorique de la part des vendeurs. Le marché de Mesra qui rassemble chaque vendredi jusqu'à 3000 véhicules de tous genres et de tous âges, a tourné en rond durant toute la matinée d'hier. Les vendeurs potentiels ainsi que les acheteurs viennent de partout, pour preuve les plaques d'immatriculation qui défilent donnent une parfaite indication de leurs origines. Si Oran, Sidi Bel Abbès, Relizane, Mascara ou Tiaret se taillent la part du lion, on s'aperçoit très vite que ni Tizi Ouzou, ni Boumerdès, ni Alger, ni Aïn Defla, ni Médéa, ni Chlef ou Relizane ne sont en reste. Cela prouve que ce marché cosmopolite tire justement sa force de cet engouement à nul autre pareil. Pour Charef, un dynamique quadragénaire, le marché de la voiture qu'il connaît à la perfection, serait victime de la fausse monnaie qui circule dans la région. C'est lui qui nous rappelle que, la semaine dernière, 3 Maliens ont été pris la main dans le sac. Ils avaient installé leurs quartiers au niveau du mausolée de Sidi Charef, non loin de Sirat. Avec un attirail ultra sophistiqué, ils produisaient de la fausse monnaie à profusion, – y compris des devises – qu'ils écoulaient auprès des riches fellahs de la région. C'est d'ailleurs l'une de leurs victimes qui permettra l'interpellation des 3 faussaires maliens. Ces derniers lui avaient refilé 600 millions en faux billets de 1000 DA contre 300 millions en vraies coupures. Les transactions sur le bétail compromises Ce matin à Mesra, sur l'immense espace réservé aux véhicules, ils n'étaient pas nombreux à avoir conclu une affaire. Ce qui fait peur, ce sont les voitures neuves ou les grosses cylindrées qui se négocient en centaines de millions. Laïd qui ne rate aucune occasion pour aller au marché fait partie des rares acheteurs à avoir conclu une affaire. Pour le compte de son ami habitant à Aïn Sidi Cherif, il assure avoir acheté une vieille Renault 9 pour 34 millions de centimes. Selon plusieurs témoins, seules quelques voitures auraient été vendues, généralement de vieilles guimbardes, ceci en raison des sommes importantes engagées pour des voitures récentes. Comme ici personne ne songe à régler ses achats avec un chèque, on craint que ce marché, jadis florissant, ne finisse par perdre son leadership. Mechati, maquignon de son état, nous assure que lui-même ne fait plus confiance à l'argent qui circule. Ce fellah sait parfaitement que dans les liasses de vrais billets, il est aisé de glisser de fausses coupures. Ne pouvant pas contrôler de grosses sommes, lui et ses collègues, qui brassent de l'argent dans des sacs de jute, ne veulent pas se retrouver avec de faux billets sur les bras. C'est pour cela, nous dira-t-il, que les transactions sur le bétail sont au point mort. Il garde en mémoire cette affaire de 800 millions qui vient d'être dévoilée au niveau d'une banque. Ajoutant qu'il «a fallu faire appel à un détecteur de faux billets au niveau d'Alger» pour découvrir le subterfuge. Forte recrudescence de faussaires dans la région La hantise du faux billet de 1000 DA a incité la quasi-totalité des commerçants à faire le geste qui sauve en exposant à la lumière le moindre billet. Ce sont les droits d'accès qui risquent de s'effondrer, surtout que les plus fortes recettes proviennent des transactions sur les véhicules, à raison de 400 DA pour une voiture, 600 DA pour la camionnette et 1200 DA pour les camions et les engins. Même les petits commerçants doivent débourser entre 100 et 200 DA pour avoir droit à un petit carré. C'est pourquoi, chaque année, les enchères pour l'adjudication de ce marché dépassent les 10 milliards de centimes. Avec la multiplication des arrestations pour falsification de billets de banque – la veille, la PJ de Sidi Lakhdar avait interpellé un jeune de 27 ans en possession de 3700 DA en faux billets de 200 et de 500 DA –-, et les longues queues devant certains bureaux de poste de la région, la psychose du faux billet vient d'atteindre une cote d'alerte jamais égalée auparavant. Le 20 août dernier, l'arrestation de 3 bijoutiers, originaires de Batna, avait permis la saisie de plus de 540 millions en coupures de 1000 DA ainsi que 5 kg d'or. La complainte des retraités Au douar Hararta, dans la commune de Aïn Nouissy, un vieux retraité parle du calvaire que subissent ses collègues. Alors qu'ils retiraient leur maigre pension tous les 22 du mois, cette fois-ci, dira-t-il, à la poste du village, on les fait patienter en leur expliquant que les caisses sont vides. Seulement une vingtaine de pensionnaires auraient retiré leur pécule. La même situation est signalée à Hassi Mamèche, Stidia, Mesra et Bouguirat. Certains bureaux de poste ont été contraints de limiter les retraits à 20 000 DA. De sources crédibles, on apprend que certaines agences postales évitent de ramener de grosses sommes, alors que d'autres se font assiéger par les citoyens. A l'agence Adda Benguettat de Mostaganem, où affluent les insatisfaits de toute la région, c'est tous les jours la course contre la montre. Face à la rareté de liquidités, la direction d'Algérie Poste aurait diligenté des transferts de fonds à partir d'Oran, sans toutefois parvenir à faire adhérer l'ensemble de son réseau. Ici, même le DAB est normalement alimenté, attirant une nombreuse clientèle. Il semble que certains responsables préfèrent s'abriter derrière l'épuisement des réserves plutôt que d'affronter le rush de clients. Au marché de Mesra, le plus symptomatique dans cette panique du faux billet, c'est que la contagion a également touché d'autres marchandises. C'est ainsi que les nombreux maquignons, qui font l'essentiel de leur business durant les semaines qui précèdent l'Aïd El Kébir, sont revenus bredouilles. Dès les premières lueurs du jour, la panique qui a plané sur le marché des voitures, a fini par gagner celui du bétail. Puis, très rapidement, c'est l'ensemble du marché qui est totalement tétanisé. Même la plus insignifiante des transactions est effectuée uniquement en petites coupures. Généralement, ce sont les vieux billets de 200 DA qui ont la cote auprès des bouchers et des marchands ambulants qui occupent un espace considérable dans ce souk. Par contre, il n'est guère indiqué de régler la moindre transaction avec des billets de 1000 DA, les marchands refusant poliment de les accepter.