«La guerre, la faim, les disputes au cœur des maisons ne prouvent rien si ce n'est que la vie mène son train et que tout le monde ne s'est pas libéré encore.» Drummont de Andrade, poète brésilien Ilma Rousseff, ce nom pourrait suggérer une écrivaine venue du froid. Mais elle n'est pas écrivaine, seulement poète à ses heures. Lusophone qui apprécie les lettres françaises, avouant que ses lectures sont proustiennes. Mme Rousseff pourrait apparaître comme un élément incongru dans ce vaste et chaud pays arc-en-ciel qu'est le Brésil qui compte près de 200 millions d'âmes. Ce qui est sûr depuis lundi, c'est que Dilma est la première femme à diriger le Brésil, un pays souvent divisé, morcelé par la géographie, les intérêts locaux, la lumpen-bourgeoisie et les inégalités sociales. Gouverner le Brésil avec ses 200 millions, ses 27 Etats, ses partis multiples, ses institutions complexes n'est pas une mince affaire. Pourtant, l'histoire de Dilma n'est pas banale. Elle raconte avec beaucoup d'humour que c'est en plaisantant que Lula a évoqué un jour sa candidature. «Je n'y avais pas songé, mais je me suis fait à l'idée que je m'y habituerai en prenant au mot le Président. C'était spontané et avec le temps, comme les choses devenaient sérieuses, je me suis portée candidate», explique-t-elle amusée, mais reconnaissante envers celui qui l'a boostée et dont on dit qu'il continuera à gouverner derrière les rideaux. la dame de fer Il faut dire que Dilma a bénéficié d'un concours de circonstances inouï lorsque les grosses pointures du Parti lui ont laissé place nette, éclaboussés par une série de scandales liés à la corruption. A l'annonce des résultats, qui pensez-vous être le premier à la féliciter ? Sa famille de la lointaine Bulgarie où elle réside toujours et où Dilma garde encore quelques attaches. Dilma à la tête de la huitième puissance mondiale aura la faiblesse de succéder à l'emblématique Lula, son mentor, mais de continuer sur la lancée d'une politique hardie, menée surtout en direction des pauvres. Le Brésil, depuis l'investiture de Lula en 2003, a en effet connu une incontestable réussite. 19 millions de Brésiliens ont pu accéder à la classe moyenne depuis lors. 23% des Brésiliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 35% il y a 8 ans). La croissance du pays reste soutenue. On observe également une hausse du salaire minimum passé en 2009 à 510 réals (210 euros) soit une augmentation de 9,68%. Le chômage touche moins de 7% de la population active et l'inflation ne dépasse pas les 4,5% par an. Préserver ces acquis qualifiés de miracle, sinon les améliorer ne sera pas tâche aisée pour cette femme qui manque de charisme, compensé par une détermination à toute épreuve. Quasi inconnue du grand public il y a six mois, Dilma sort de l'ombre, même si elle sait que la silhouette de Lula planera encore sur le gouvernail. Emprisonnée de 1970 à 1972 dans les geôles de la dictature, elle a cependant la réputation d'une dame de fer. Torturée, elle aurait craché à la face du bourreau qui souhaitait lui arracher des informations. Agée de 63 ans, Rousseff n'aime pas évoquer avec ostentation son passé de femme guérillero qui lui a valu de passer près de 3 ans en prison et d'être torturée par les militaires. Fille d'un immigrant bulgare qui a fait fortune dans le bâtiment, ayant fui la répression politique dans son pays, Dilma a rejoint un groupe de l'extrême gauche radicale après avoir entamé des études d'économie à l'université de Minas Geraïs. elle a connu la prison Libérée de prison en 1973, Dilma reprend ses études et abandonne totalement la lutte armée. Ministre de l'Energie de 2003 à 2005, Chef de la maison civile, soit Premier ministre de 2005 à aujourd'hui, cette femme infatigable connaît ses dossiers sur le bout des doigts, lui reconnaissent ses adversaires. En 2009, les médecins lui ont diagnostiqué un cancer du système lymphatique. Elle a annoncé sa maladie publiquement et affirmé qu'elle continuerait à travailler. Lula a tenté de transférer une bonne part de son incroyable popularité sur elle et cela lui a réussi, si l'on en juge par les résultats du vote et la sympathie que la nouvelle Présidente suscite auprès des gens. Il est vrai que Lula n'en rate pas une lors de ses meetings pour mettre en avant le travail de Dilma présentée comme «la mère» du programme d'accélération et de croissance qui finance les gigantesques investissements du gouvernement dans les infrastructures du pays. Créditée de moins de 20% dans les sondages au début de l'année, Mme Rousseff s'est imposée et a démenti tous les pronostics. La candidate du Parti des travailleurs au pouvoir l'a emporté avec 56% des voix contre 33% pour son adversaire, le candidat social démocrate José Serra. La Présidente élue de 63 ans s'est engagée à éradiquer la misère du pays d'ici à la fin de son mandat de quatre ans. à l'écoute des pauvres Elle a également promis de ne pas toucher aux budgets consacrés aux programmes sociaux et aux projets d'infrastructure. Elle a assuré que les Brésiliens ne tolèreraient pas un gouvernement qui vivrait au-dessus de ses moyens. «J'ai reçu de la part de millions de Brésiliens ce qui est peut-être la plus importante mission de ma vie», a-t-elle déclaré les larmes aux yeux. Alors que ses partisans ont envahi par milliers le rues de Sao Paulo et de Brasilia pour manifester leur joie et célébrer la victoire, Rousseff s'est engagée à prolonger ce qu'elle a appelé une «nouvelle ère de prospérité» et à respecter les contrats existants, soulignant qu'elle n'avait aucune intention de rompre avec la politique menée par Lula. Après avoir remercié avec «beaucoup d'émotion» ce dernier, la Présidente élue a affirmé : «Je frapperai souvent à sa porte et je sais qu'elle sera toujours ouverte». Avant d'ajouter : «la tâche de lui succéder est difficile et représente un défi, mais je saurai honorer cet héritage et amplifier son travail», a-t-elle assuré devant ses partisans réunis dans un grand hôtel de Brasilia. Elle a ainsi réitéré sa volonté déterminée d'éradiquer la misère pour tous les Brésiliens et les Brésiliennes. «Nous ne pouvons avoir de repos tant que des compatriotes souffriront de la faim». Au soir de sa victoire et à l'issue d'une campagne électorale riche en attaques personnelles, Dilma s'est voulue conciliante avec l'opposition et a déclaré : «lui tendre la main en appelant à l'union». Son adversaire, José Serra, l'a félicitée mais s'est abstenu de saisir la main tendue. «Pour ceux qui nous imaginaient vaincus, nous ne faisons que commencer la lutte véritable», a menacé l'ancien gouverneur de Sao Paulo. Le président vénézuélien, Hugo Chavez, a salué la victoire de Dilma et a prédit qu'elle deviendrait «une autre géante de la politique latino- américaine». Je vais envoyer un baiser à ma chère Dilma», a affirmé Chavez à la fin de son programme radio télévisé «Allo présidente.» Pour sa part, Obama a téléphoné à la Présidente élue pour la féliciter de «sa victoire historique» et a félicité les Brésiliens pour leur foi et leur engagement en faveur de la démocratie. Le Brésil en état de grâce En état de grâce, le Brésil l'est assurément. En cinq ans, 32 millions de personnes ont bénéficié de l'ascenseur social. Phénomène très étonnant, l'ancienne classe moyenne inférieure s'est multipliée et représente désormais la moitié de la population du pays. Près de 90 millions de Brésiliens bénéficient aujourd'hui d'un revenu familial mensuel compris entre 1115 et 4807 réals (entre 482 et 2077 euros). Cette classe sociale est dominante au sens économique. Libérée, elle exprime avec force son désir de consommation réprimé depuis des décennies : «Qu'on le veuille ou non, Dilma a participé activement aux changements objectifs qu'ont connus les Brésiliens. Sa victoire est non seulement liée à la popularité de Lula mais aussi à l'optimisme et à l'excellente situation économique du pays», rappelle l'hebdomadaire Corta Capital, l'un des rares organes de presse qui l'a soutenue. Dilma rejoint le club secret et très restreint des femmes au pouvoir dans le monde comme Cristina Kirchner (Argentine), Patil (Inde), Arroyo (Philipines), Halonen (Finlande), Mc Aleese (Islande), Dalia (Lituanie), Lenthand (Suisse), Sirleaf (Liberia), Merkel (Allemagne), Iasinawajeed (Bengladesh). Dilma sait ce qui l'attend. Un vaste chantier avant la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux olympiques de 2016. S'attaquer à la violence qui n'est plus l'apanage des favelas, affronter la corruption, investir dans l'éducation, la santé et les infrastructures et réaliser les réformes longtemps différées des retraites et du système fiscal. Dans son langage direct et sans fioritures, Dilma a promis de mieux regarder vers les favelas, l'éducation, les Indiens d'Amazonie toujours en attente d'être entendus, l'écologie et l'insécurité. Tout un programme, mais aussi une belle leçon de démocratie.