La non-application de l'article 174 du statut de la fonction publique, ou alors son exécution sélective, à la tête du client, fait que les décisions rendues par la justice sont piétinées, nourrissant de fait une Hogra administrative. Si le circuit judiciaire donne, depuis une décennie, matière à jaser à Souk Ahras à cause de certains dossiers lourds, traités de manière à susciter la polémique, il n'en demeure pas moins que l'application des jugements de justice dans des affaires courantes est loin de satisfaire ceux qui, des années durant, clament leur innocence ou revendiquent un droit. C'est comme si les multiples reports des procès et le temps que prend la première instance pour rendre publics les verdicts et les lenteurs pour rendre exécutoires les décisions ne suffisaient pas aux justiciables, pour que ces derniers se perdent, encore une fois, dans les dédales de la bureaucratie et subissent d'autres épreuves une fois le verdict prononcé. Les cas que nous allons citer ci-après en sont une parfaite illustration. Mokhtar est l'exemple type de ces milliers de gens victimes d'une application sélective de la loi par institutions interposées. Cet ex-employé de l'état civil de Souk Ahras, impliqué en 2007 dans une affaire de faux, a été acquitté une première fois par le tribunal local le 02/07/2007 et une seconde fois par la Cour de Guelma le 05/09/2007). Malgré cette réhabilitation, il ne réintégrera jamais son poste de travail, faute d'application de l'article 174 du statut de la fonction publique. Par contre, ses co-accusés qui ont été condamnés à des peines de prison ferme, ont tous été repris par l'administration. Cette dernière a, pourtant, essuyé d'un revers de manche plusieurs condamnations, dont celle d'un élu FLN, épaulé par un député. En effet bien que déchu de ses fonctions électives à la municipalité de Souk Ahras, conformément aux articles 32 et 33 du code communal, l'édile reprendra le chemin de l'hôtel de ville quinze jours après. Mokhtar comparaîtra prochainement devant la Cour de Guelma après transfert du dossier depuis la Cour suprême. A défaut d'un acquittement, le service du personnel de la commune affichera un autre niet à l'encontre d'un fonctionnaire qui a trimé pendant 20 ans. Dépité, le malheureux quadragénaire dira: «Je suis sûr que même le verdict attendu ne servira pas à grand-chose vu les lenteurs qui accompagnent très souvent les démarches administratives dans pareil cas.» Côté administration, on nous a fait comprendre que quand le verdict prononcé en deuxième instance fait l'objet d'un appel de la part du représentant du ministère public, l'acquittement ne peut justifier le retour de l'employé suspendu par voie de justice à son poste de travail sauf si la cour suprême tranche en sa faveur. S'agissant encore de l'application sélective du code communal, Mekki Khedairia, ex-P/APC-FLN de H'nencha, évincé de son poste pour poursuite judiciaire en 2005, acquitté la même année par le tribunal de Sédrata pour les chefs d'accusation de dilapidation de deniers publics et non-respect du code des marchés, a perdu tous ses droits dans les méandres des circuits administratif et judiciaire. Il n'ira pas du dos de la cuillère pour dénoncer ses détracteurs. «J'ai fait l'objet d'un complot fomenté par des cercles bien connus et c'est à cause de mes positions intransigeantes qu'on ne m'a jamais réhabilité malgré le non-lieu prononcé par la justice», nous a t-il confié. A noter que ce verdict n'a fait l'objet d'aucun appel. Cette rupture de la relation de travail et la non-réintégration de plusieurs autres employés de l'OPGI, malgré leur acquittement, suscitent encore moult interrogations quant aux procédures légales. Deux parmi ces derniers ont été repris par nécessité de service par un ancien directeur, a-t-on appris auprès des responsables de l'office. Les autres attendent toujours. L'un d'eux nous dira: «Je ne suis ni assez âgé pour la retraite ni assez jeune pour me refaire une carrière et j'ai six bouches à nourrir.» Une véritable épée de Damoclès, est utilisée par des responsables à la tête du client, et les personnes qui en sortent indemnes dépassent de loin celles qui en sont victimes et c'est là où le bât blesse. Quand les procédures légales sont bafouées Certains députés et sénateurs de Souk Ahras oublient souvent qu'ils appartiennent à des institutions qui légifèrent et qu'ils sont appelés, de ce fait, à rendre flexibles, légalement lisibles et socialement adaptables les textes régissant les relations de travail. Or, la situation est tout autre à Souk Ahras, car ceux censés porter haut leurs interventions, limitent leurs actions à épargner le cousin et le militant de la petite famille d'une loi scélérate qui invite beaucoup plus au trabendisme administratif et à une justice de classe qu'à l'édification d'un Etat de droit. C'est, d'ailleurs, dans cet esprit qu'un administrateur nous a fait la remarque suivante : «Si l'on applique machinalement l'article que vous venez de citer ou ceux (similaires) toujours de mise dans secteur économique, l'on risque fort d'allonger la liste des travailleurs suspendus, ceux poursuivis en justice pour une banale infraction au code de la route, compris.» Les cas de licenciement abusif dont les verdicts sont en faveur des victimes ne sont que rarement pris en compte par les responsables quand la passion s'en mêle. Mehdi Sebti, un syndicaliste du secteur des finances, licencié lui aussi abusivement, puis réhabilité par voie de justice, n'a pu faire valoir ses droits. Son employeur avait juré de le réduire au chômage. «C'est un cas d'abus de pouvoir et une façon de porter atteinte aux institutions de l'Etat. Sinon, comment peut-on expliquer la non - application d'une décision de justice rendue exécutoire conformément aux textes en vigueur», nous a-t-il déclaré. Des situations plus graves nous ont été signalées par des fonctionnaires au fait de scandales financiers. Il s'agit de plaintes fantoches déposées par certains membres de l'exécutif et dont le but est d'écarter pendant la durée de leur exercice des éléments jugés «incommodes» avec certaines manières de gérer ou ceux à l'origine de révélations scandaleuses. Le temps que prendra l'infortuné pour regagner son poste jouera en faveur du responsable. Abdelhamid, un quinquagénaire au bord de la retraite, employé dans une administration publique en a fait les frais. «J'ai adressé une doléance au ministre de tutelle, tout en respectant la voie hiérarchique, pour dénoncer certains chefs de service pour agissements contraires à la loi. Ma correspondance a été utilisée pour introduire une action en justice, me condamner ensuite et m'appliquer l'article 174 pour me dissuader de faire d'autres révélations», nous a-t-il confié tout en brandissant une longue liste d'agents, pourtant condamnées, mais toujours en activité. Voici la version officielle de la justice: «Quand l'acquittement est prononcé en faveur d'un employé, celui-ci regagne, de facto, son poste d'origine, sauf dans le cas où le parquet fait appel. L'employeur doit, dans ce cas, attendre la décision de la Cour suprême.» Signalons par ailleurs qu'il n'a pas été jugé utile de répondre à notre question, qui est la suivante: «Dans une même affaire, plusieurs travailleurs écopent de la même peine, les uns sont repris par l'employeur et les autres ne sont toujours pas réhabilités. Qui veille à l'équité entre citoyens dans l'application des verdicts?»