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«Beaucoup de détenus sahraouis affirment avoir subi de graves abus lors de leur détention» Peter Bouckeart. Directeur des situations d'urgence à Human Rights Watch (HRW)
Arrivé dans la ville d'El Ayoun quatre jours après le démantèlement violent du camp Gdeim Izik, l'envoyé de l'ONG américaine, Human Rights Watch, Peter Bouckeart, nous livre son témoignage dans cette interview. -Vous étiez dans la ville d'El Ayoun quelques jours après l'assaut donné contre le camp de Gdeim Izik. Pouvez-vous nous décrire la situation humanitaire pendant votre mission dans cette région ? Il faut souligner tout d'abord que ma mission a été retardée d'un jour, car les autorités marocaines ont refusé de me laisser monter dans l'avion vers El Ayoun. Ce n'est qu'après d'âpres discussions que j'ai été autorisé à m'y rendre, le vendredi 12 novembre, et j'y suis resté jusqu'au mardi 16 novembre. Une fois que les autorités marocaines ont convenu de notre visite, ils n'ont pas entravé notre travail à El Ayoun et nous avons pu nous déplacer librement, visiter le camp et l'hôpital civil, interroger les témoins et les victimes et rencontrer le wali. La situation à El Ayoun reste très tendue, et de nombreux Sahraouis continuent d'avoir peur d'une arrestation, en particulier les militants sahraouis. Mais les attaques contre les maisons de civils sahraouis par les forces de sécurité marocaines ont cessé à partir de mercredi 10 novembre. La situation s'est calmée par rapport aux deux journées qui ont suivi le démantèlement du camp de Gdeim Izik. Notre enquête a confirmé deux morts parmi les civils lors des événements de lundi 8 novembre, et nous n'avons trouvé aucune preuve pour appuyer le bilan avancé par le Front Polisario qui parle de 36 civils ou plus tués au cours des violences. -Peut-on parler de couvre-feu imposé par les forces de l'ordre marocaines au lendemain des événements et comment la police marocaine se comporte-t-elle avec les populations sahraouies ? Notre enquête n'a pas prouvé l'utilisation d'armes à feu lors de la fermeture du camp de Gdeim Izik par les forces de sécurité. Par contre, elles ont fait un usage disproportionné de gaz lacrymogènes, et certains Sahraouis ont été battus et détenus dans le camp, mais nous n'avons pas prouvé d'utilisation des armes à feu. -Pouvez-vous nous affirmer que les forces marocaines ont torturé des citoyens sahraouis après l'assaut du 8 novembre ? Nous savons qu'au moins 100 Sahraouis ont été présentés devant le juge civil à El Ayoun et au moins sept ou huit ont été transférés à Rabat devant un tribunal militaire. Beaucoup d'autres ont été libérés sans être inculpés. Nous avons discuté avec sept personnes qui avaient été arrêtées, et beaucoup ont affirmé avoir subi de graves abus lors de leur détention, y compris des passages à tabac, au point de perdre conscience, des menaces de viol et on a même uriné sur eux, ont-ils déclaré. -La répression a-t-elle touché seulement des jeunes manifestants ou bien s'est-elle abattue sur les enfants, les femmes et les personnes âgées ? Nous avons pu interviewer deux femmes qui étaient en détention et qui ont également été battues et maltraitées. -Les blessés avaient-ils accès aux soins dans les hôpitaux d'El Ayoun ? La journée du 8 novembre, les forces de sécurité marocaines ont bloqué l'accès à l'hôpital principal et elles ont battu les Sahraouis blessés et même les chauffeurs de taxi marocains qui ont tenté de pénétrer dans l'hôpital. La plupart des blessés ne sont jamais allés à l'hôpital par peur d'être arrêtés, et certains, qui y sont allés, se sont vu refuser les soins médicaux. -Le bilan des événements fait l'objet d'une polémique entre les autorités marocaines et le Front Polisario. Peut-on avancer un bilan définitif de ces événements ? Il est malheureux de constater la controverse sur le nombre de décès. Je n'ai pas trouvé d'indications pour renforcer les informations avancées par le Front Polisario selon lesquelles 36 personnes ou plus ont été tuées, et je n'ai rencontré aucune organisation sahraouie à El Ayoun. Par ailleurs, les allégations du Maroc disant qu'aucune infraction n'a été commise par ses forces de sécurité ne sont pas non plus exactes. Comme nous l'avons attesté, il y a eu de graves abus. Il n'y a pas de compte rendu définitif de ce qui s'est passé à El Ayoun, mais il est clair que certaines des informations qui circulent actuellement sont inexactes. Nous croyons qu'il est important que le libre accès à El Ayoun soit autorisé pour pouvoir établir un état des lieux réel sur ce qui s'est passé et approfondir les enquêtes sur les abus commis. -Pourquoi, selon vous, les autorités marocaines ont-elles refusé l'accès à la ville d'El Ayoun aux journalistes, aux ONG ainsi qu'aux parlementaires européens ? Peut-on parler d'une répression à huis clos ? Nous déplorons le fait que les autorités marocaines continuent de refuser à de nombreux journalistes étrangers l'accès à El Ayoun, et nous les exhortons de permettre à tous les journalistes locaux et internationaux de se rendre dans cette ville et de les laisser travailler librement. Les autorités marocaines nient qu'elles sont responsables de l'interdiction d'accès à El Ayoun aux journalistes et autres militants d'ONG, affirmant qu'il s'agit d'un problème technique avec Royal Air Maroc, mais ce n'est clairement pas la vérité. Ce sont les autorités marocaines qui empêchent les journalistes et Human Rights Watch de se rendre à El Ayoun, et Royal Air Maroc est complice de cette politique en permettant aux autorités marocaines de mettre des interdictions aux journalistes étrangers et locaux sur leurs billets d'avion. Il est inacceptable que Royal Air Maroc coopère à la censure. -Vous avez appelé à l'urgence «d'une présence d'une mission de l'ONU dotée de compétences en matière de droits de l'homme». Cela veut-il dire que les droits de l'homme sont sérieusement violés à El Ayoun ? La Minurso est une mission de maintien de la paix de l'ONU qui n'a pas une compétence élargie à la question des droits de l'homme. Nous croyons que la Minurso devrait être dotée d'une forte composante en matière de droits de l'homme, de surveiller et d'établir des rapports sur les violations des droits humains commises au Sahara occidental. Lors de la discussion de mardi dernier au Conseil de sécurité des Nations unies, l'ambassadeur de l'Ouganda et d'autres se sont plaint du manque d'informations disponibles auprès de la Minurso au sujet de la situation des droits humains à El Ayoun, et cela aurait pu être corrigé si la Minurso avait des observateurs des droits de l'homme. Cela nous aurait permis d'éviter toute la controverse sur le nombre de morts et sur la situation réelle des droits de l'homme à El Ayoun si cette force onusienne avait une compétence de surveillance des droits de la personne humaine. -Est-ce que vous avez eu des rencontres avec des activistes sahraouis et des responsables marocains et quel a été le contenu des discussions ? Oui, j'ai pu rencontrer plusieurs militants sahraouis, ainsi que certaines organisations marocaines des droits de l'homme. J'ai également rencontré le wali d'El Ayoun, ainsi que des représentants du ministère de l'Intérieur marocain. Avec les organisations sahraouies et marocaines des droits l'homme, nous avons comparé les informations et nous n'avons pas trouvé de grandes zones de désaccord. Avec les responsables marocains, j'ai mis nos conclusions à leur disposition sur les abus sur les détenus, et l'utilisation de balles réelles. Ils se sont engagés à enquêter et à faire un rapport à Human Rights Watch. -Comment votre organisation juge-t-elle l'attitude de l'ONU par rapport à ce qui vient de se passer dans la ville d'El Ayoun ? Etes-vous favorable à l'envoi d'une commission d'enquête ? Nous pensons que l'ONU peut jouer un rôle plus constructif dans la situation au Sahara occidental, en fournissant des informations plus précises à la communauté internationale sur la situation, ce qui nécessite une surveillance des droits humains. La communauté internationale ne peut agir sur la situation au Sahara occidental que si elle reçoit des informations exactes et crédibles. Malheureusement, ces informations ne sont toujours pas immédiatement disponibles, en raison, essentiellement, de l'attitude du Maroc qui empêche souvent les journalistes – les Espagnols particulièrement – de se rendre au Sahara occidental où la situation est difficile. Nous sommes favorables à une mission d'enquête de l'ONU. Une commission d'enquête est réservée pour les cas les plus graves de violations des droits de l'homme, nous pensons donc qu'une mission pour rapporter les faits serait appropriée.