Quand une lettre de mise au point peut devenir un enrichissement supplémentaire au savoir. Je voudrais remercier Hamid Nacer-Khodja et El Watan Arts & Lettres pour la bienveillante attention qu'ils ont portée à mon ouvrage Auteurs algériens de langue française de la période coloniale. Dictionnaire biographique (Paris, L'Harmattan, 2010) et prendre acte des utiles remarques qu'il a suscitées. Je relève toutefois dans le compte-rendu de M. Nacer-Khodja (édition du 20 novembre 2010) des observations pertinentes qui pointent de précieuses questions de méthode. L'organisation du dictionnaire en trois parties, pour «incompréhensible» qu'elle soit, s'explique par le caractère hétérogène des parcours d'auteurs, de leur inscription dans l'écriture française et des formes d'émergence sur la scène littéraire. Les auteurs de la période coloniale édités en volume sont regroupés, à quelques exceptions notables de l'évolution littéraire (Samar, Chabane, au XIXe siècle, Ahmed Bouri, Yasmina Larab, Madjid Amrouche, au XXe siècle), dans la première partie (pp. 35-225). Dans cet ensemble qui court sur 130 années de présence française, une dizaine d'auteurs, au mieux — plus précisément dans l'essai et le roman — justifieraient la qualification d'écrivains, porteurs d'un projet littéraire suffisamment étayé. Dans la seconde partie (pp. 227-247) intitulée «L'efflorescence intellectuelle et littéraire» (1945-1962) sont recensés des auteurs qui ne figurent pas généralement dans les dictionnaires. Publiés épisodiquement dans des journaux et des revues, ces auteurs ne s'affirmeront, le plus souvent, qu'après l'indépendance (Anna Greki, Mohand Arab Bessaoud, Ali Merad, Mohamed Arkoun, Réda Falaki, Mohamed Lebjaoui) ; d'autres, significativement prometteurs (Mohamed Zerrouki (prématurément disparu en 1959), El Boudali Safir, Mohamed Maarfia, M'hamed Aouane), auront marqué un évident recul par rapport à l'écriture littéraire. Il est vrai que cette «efflorescence intellectuelle et littéraire» inscrit un moment essentiel dans la structuration du champ littéraire de la colonie. Au début des années 1950, le groupe littéraire algérianiste — qui ne recrute plus d'auteurs — survit difficilement dans la revue Afrique, toujours animée par l'inamovible président de l'AEA, le poète Jean Pomier, alors que les membres de l'Ecole d'Alger ont, pour l'essentiel, choisi la France et — à l'image d'Albert Camus et d'Emmanuel Roblès — une carrière littéraire explicitement française et parisienne. C'est dans ce moment de reflux des lettres coloniales que se déploie, en Algérie même et loin de l'édition germanopratine, une écriture indigène de langue française qu'on ne peut séparer des transformations socio-politiques de la colonie et de l'affirmation du mouvement national indépendantiste sous la direction du FLN après le 1er novembre 1954. Cette inflexion de l'histoire littéraire algérienne — peu étudiée — ne méritait-elle pas d'être distinguée ? J'ai, enfin, rendu justice dans la troisième partie (pp. 249-259) aux auteurs d'œuvres écrites pendant la période coloniale et éditées après l'indépendance. Ces auteurs, écrivant au diapason d'une histoire de sombres assujettissements (familiaux et conjugaux, politiques et sociétaux), dont la présence dans la littérature algérienne d'hier et d'aujourd'hui est si éclairante, il serait infondé de les situer historiquement dans la période de la post-indépendance et de les confondre, notamment pour la poésie et le récit, avec le courant doctrinal héroïque et guerrier qu'appelait dans les années 1960-1970 le célèbre slogan de Malek Haddad dans l'éditorial inaugural de la revue Promesses : «Que des œuvres impérissables !» Comment ne pas reconnaître chez ces auteurs et dans leurs œuvres les prémices d'une généricité littéraire algérienne proprement révolutionnaire et novatrice, notamment dans les mémoires intimes de Fadhma Aït Mansour Amrouche, composés au mois d'août 1946 (Histoire de ma vie, Paris, Maspéro, 1968), et dans la correspondance lucide d'Ahmed Taleb El Ibrahimi, échangée entre 1955 et 1962 (Lettres de prison, Alger, Sned, 1966 ; Dar El Oumma, 2001). Il est vérifiable dans le cas de ces auteurs, et plus encore pour les poèmes regroupés par Denise Barrat dans Espoir et parole (Seghers, Paris, 1963), que la date de production est symptomatiquement plus évocatrice que la date de publication. Pourquoi Boubakeur Abdessmed (Nous, les gueux, essai, Rabat, 1961) et Kaddour M'hamsadji (La Dévoilée, théâtre, Rodez, 1959) devraient-ils être plutôt intégrés dans la seconde partie ? Abdessmed et M'hamsadji sont, l'un et l'autre, crédités d'une œuvre éditée pour figurer légitimement dans la première partie du dictionnaire. En outre, Kaddour M'hamsadji, auteur de pièces du théâtre radiophonique, proche d'Albert Camus et d'Emmanuel Roblès mais aussi soucieux de l'avenir des lettres dans une patrie retrouvée, a dès la fin des années 1950 la prescience d'un positionnement futur, marquant, dans la proximité de Jean Sénac et de Mouloud Mammeri, une présence réelle dans la recherche d'une transition littéraire entre le passé colonial et un avenir algérien à construire. Au-delà de la lecture des textes, il faudra sans doute revenir dans la recherche littéraire à l'histoire et à la sociologie du champ littéraire. Ces deux axes ne sont pas indissociables. Dans un dictionnaire où il a fallu rechercher et vérifier sur de nombreuses années des milliers d'informations relatives aux auteurs, aux œuvres, à leur insertion dans les registres — toujours différenciés de la vie religieuse, politique, sociale, économique et culturelle — des erreurs peuvent apparaître et de la manière la plus surprenante. Il est heureux qu'elles ne figurent que dans les appendices de l'ouvrage (Cf. Breton-Baya, Christian Pérez, Fort National). Dans ce type de recherche, on est toujours tenté de retrouver l'événement fondateur, quitte à se fourvoyer méchamment. Tahar Belhannache dit Hannache qui a continué et prolongé à Constantine la culture moderne de l'image — à la suite du professeur Mejdoub Ben Kalafat, membre honoraire vers la fin du XIXe siècle du prestigieux Photo-Club — a signé le premier film algérien Les Plongeurs du désert, en 1946, selon une information donnée par Abdenour Zahzah ("Expression du désert. La ruée vers le sable", El Watan, 5 octobre 2007). Zahzah écrit : "Le premier film algérien est un film réalisé dans le désert. Le réalisateur est un certain Tahar Hannache. C'était en 1946". J'ai évidemment fait le lien avec Les Puisatiers du désert, film de 1952 — signalé dans le petit fascicule d'hommage à Himoud Brahimi Tahia ya Momo ! de Çaliha Brahimi et de Djamel Azzi (Alger, Imprimerie Houma, 2006) — que je pensais être un nouveau montage avec un nouveau titre de la production de 1946. Tout cautionnait sur le plan factuel cette hypothèse, car un bon nombre de biographes de Mohamed Iguerbouchene lui attribuaient, en 1945 déjà, la bande musicale des Plongeurs. Je n'ai pas reporté dans la note sur les journaux et revues (pp. 264-265) la publication Soleil (janvier 1950-février 1952) de Jean Sénac, Maurice-Robert Bataille, Louis Foucher, Robert Louit, José Pivin pour une raison simple : relativement tardive dans le champ littéraire de la colonie, elle aura associé peu d'auteurs indigènes. Elle est cependant signalée dans la notice Jean Sénac (p. 209). Ce dictionnaire reste, bien entendu, perfectible, autant les rapports entre la formation des élites indigènes et la diffusion de la langue et de l'écriture françaises aux XIXe et XXe siècles coloniaux peuvent encore révéler bien des surprises aux chercheurs. Son intérêt est d'ouvrir le débat sur cette prise de parole originale — à la fois forte et fragile — dans le champ colonial, qui restait à la mesure du génie du peuple algérien et de ses espérances : celles qui enfantent l'Histoire.