André Prenant est en effet décédé le lundi 6 décembre 2010, à l'âge de 84 ans. Des décennies bien remplies par un engagement sans faille pour les causes justes, dont celle de l'Algérie où il est venu des la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de celle-ci, encore adolescent, il s'était déjà engagé dans la résistance à l'occupation allemande avec son père, Marcel, un biologiste de renom. En 1944, André Prenant a échappé de justesse, grâce à son courage, aux agents de la gestapo venus fouiller la demeure familiale, après l'arrestation de son père et ce, avant de rejoindre lui-même le maquis et les réseaux de la résistance, dont celui du Colonel Fabien. Aussitôt la guerre finie, il a repris ses études de géographie et s'est intéressé à l'Algérie. Il est alors venu pour des travaux de recherche à Sétif, en 1946. Dans cette ville et dans tout l'Est constantinois qui venait de subir la terrible et inhumaine répression, durant plus d'un mois, à partir du 8 mai 1945, André Prenant a pu constater sur place les séquelles des horribles massacres individuels et collectifs. C'était, ici aussi, le temps de la peur et des malheurs. Mais, le jeune André Prenant ne rencontrera pas un autre lycéen, arrêté à l'âge de 16 ans, répondant au nom de Kateb Yacine et dont la mère, devenue folle, sera internée durant de longues années à l'hôpital psychiatrique de Blida, à cause de cela! Mais, ses yeux se sont aussi «dessillés» pour reprendre l'expression de notre écrivain. André Prenant reviendra à Alger, de 1949 à 1953, pour enseigner dans l'ex-lycée Gauthier, former de jeunes algériens et surtout constater, sur place, les injustices du système colonial. Militant communiste, il ne cessera d'alerter, de l'intérieur, le PCF pour que celui-ci change de politique vis-à-vis de cette Algérie opprimée qu'il a appris à aimer sincèrement et durablement. Il avait alors écrit : «Je suis frappé par la similitude du problème pour les Algériens à l'égard de la France et la position que nous avions à l'égard de l' Allemagne. Pour moi, c'était la même chose». La fin de la guerre d'indépendance approchant, il participe avec Yves Lacoste et André Nouschi à la rédaction d'un livre intitulé L'Algérie, passé et présent, publié fin 1960 et préfacé par le Professeur à la Sorbonne Jean Drech. L'ouvrage deviendra le livre de chevet de toute l'intelligentsia algérienne avide de mieux connaître sa véritable Histoire, de tous les nouveaux étudiants venant après ceux qui, un certain 19 mai 1956, avaient déserté les lycées et les facultés françaises pour rejoindre les maquis de l'ALN. André Prenant reviendra de nouveau en Algérie en qualité de maître de conférences, pour enseigner à l'Université d'Alger, de 1962 à 1966, ou pour animer des séminaires à l'Université d'Oran, nouvellement créée.Il se fera alors de nombreux amis parmi ses étudiants, dont feu Omar Bouchenaki, Nadir Boumaâza ou Bouziane Semmoud notamment, avec lequel il cosignera une autre livre intitulé Maghreb et Moyen-Orient, Espaces et Sociétés. C'est à cette date justement, en I966, que Pierre Estorges organisa un voyage d'études, sur le terrain, pour les étudiants d'histoire et de géographie, dans l'est et le nord du Sahara algérien. Au passage, André Prenant rejoignit la caravane à Sétif, donnant au fur et à mesure des explications précises sur cette région de l'Algérie qu'il connaissait particulièrement bien. Arrivé à l'oasis de Tolga, il se détacha du groupe pour aller discuter avec un paysan qui se trouvait là par hasard. Il revint ensuite pour nous répéter ce dicton qu'il venait d'apprendre de ce paysan analphabète : «Es sama li Rabi oua el ard li Ben Tobi» (Le ciel est à Dieu et la terre est à Ben Tobi). Ce dernier était, semble-t-il, un des derniers féodaux de la région que la colonisation agraire n'avait ni cantonné ni réduit à l'état d'ouvrier saisonnier sur la terre de ses ancêtres. L'anecdote, vécue, illustre la méthode et l'analyse marxistes du militant communiste engagé qu'il n'a jamais cessé d'être. Trente ans plus tard, en 1996, lors de la présentation du livre intitulé, cette fois-ci, 8 Mai I945, le génocide, en guise de réponse indirecte à une loi scélérate de 2005, aussi anti-scientifique qu'insultante pour toutes le victimes du colonialisme, aussi bien en Indochine, à Madagascar, dans l'Afrique de l'Ouest qu'au Maghreb... deux autres professeurs dont André Prenant étaient invités au Centre Culturel Algérien, à Paris. Lors du débat, l'autre professeur récusa cette qualification des massacres en masse programmés, mais les auditeurs, algériens en majorité, prirent la parole pour donner leur point de vue ou apporter leurs témoignages sur ces crimes contre l'humanité. C'est alors qu'André Prenant, toujours fidèle à lui-même et à l'Algérie, déclara pour mettre tout le monde d'accord : «Certes, on peut parler d'une tentative génocidaire.» C'est aussi un autre témoignage vécu. Il est vrai que dans toute l'histoire de l'humanité, il n'y a jamais eu de génocide total. Même les peaux-rouges d'Amérique ou les Arborigènes d'Australie n'ont pas été exterminés jusqu'au dernier et, d'ailleurs, ces derniers viennent de recevoir les excuses officielles et publiques du gouvernement australien. Finalement, André Prenant a fait partie de ces intellectuels français conscients qui sont venus en Algérie, l'indépendance acquise, pour aider ce peuple à se reconstruire après la longue nuit coloniale, puisqu'il faut reprendre l'expression de feu Ferhat Abbas. Citons parmi eux le recteur André Mandouze, le Saint-Augustinien, qui avait soutenu le juste combat des Algériens jusqu'à être emprisonné et expulsé ; Pierre Salama, le César du droit romain ; Paul-Albert Février, le spécialiste de l'Afrique antique jusqu'aux limes ou Ch. E. Dufourcq, né à Alger, qui a consacré 18 ans de sa vie pour faire une thèse de doctorat sur les relations entre la Catalogne et le Maghreb ; Pierre Estorges, cet enfant de Constantine qui connaissait aussi bien la géologie que la géographie de l'Algérie, ou son collègue Maurice Benchetrit ; Georges Labica et Etienne Balibar en philosophie ; René Galissot qui avait l'art de rendre vivante l'histoire contemporaine ; le professeur Jacques Peyréga qui a eu le courage de dénoncer, en 1957, l'exécution sommaire d'un Algérien dans une rue d'Alger et formé aussi les premiers économistes algériens...La liste n'est évidemment pas exhaustive mais, tous, à l'instar d'André Prenant, ont contribué à la formation de la nouvelle intelligenstia algérienne, à estomper un tant soit peu les affres de la colonisation et à donner une autre image de la véritable France. Qu'ils en soient tous remerciés à travers cet hommage rendu à André Prenant.
R-A-T : Ancien directeur général des Archives nationales, ancien maître-assistant à l'Université d'Alger