C'est une première depuis la crise entre l'Egypte et l'Algérie. Le film égyptien Microphone, de Ahmed Abdallah Essaied, a été projeté - et bien accueilli par le public - mercredi au Festival international du film arabe d'Oran. Il marque sans doute un tournant dans l'histoire du 7e art arabe. Face à la mer, les jeunes Alexandrins viennent oublier les blessures du temps qui passe. La grande bleue est là pour les rassurer. Ces jeunes cherchent à voir «une voix dans la foule». Une voix suffisamment puissante pour être écoutée, respectée. Microphone, de l'Egyptien Ahmed Abdallah Essaied, projeté mercredi à la salle Le Maghreb, à la faveur du quatrième Festival international du film arabe d'Oran, est une tentative cinématographique pour redonner la parole à une jeunesse qui ne cherche qu'à s'exprimer, mais qui n'y arrive pas. Khaled (Khaled Abol Naga) rentre d'un long séjour à l'étranger à Alexandrie. Il constate que les choses «bougent», mais pas forcément dans la bonne direction. Son amie Hadeer (Menna Shalabi) va le quitter pour s'installer à Londres. «Cela fait sept ans que je tente de faire des initiatives que les autres refusent», se plaint-elle. Dans les rues d'Alexandrie, Khaled croise des rappeurs, des musiciens qui jouent sur les toits du rock alternatif, des filles adeptes du mouvement, très à la mode, Emo (punk hardcore), des skateurs et des artistes auteurs de graffitis qui n'agissent que sous couvert de la nuit. Bref, un monde underground qui bouillonne comme une lave volcanique, mais qui peine à remonter à la surface. Khaled s'engage alors à les aider. Il va à la rencontre d'une institution publique d'appui aux artistes. Le discours mené par son responsable le refroidit, mais ne le dissuade pas. Là, il fait la connaissance des jeunes qui font dans le hip-hop. «Nous voulons faire autre chose que ‘‘Ya habibi'' et Oum Kalthoum», disent-ils. Le responsable, payé par le gouvernement, dit qu'il faut soumettre tout cela à «une commission» de lecture qui devra statuer et il a qualifié les graffiti d'anarchie visuelle. «Parce que les affiches de la campagne électorale ne sont pas une anarchie visuelle, se revolte Khaled. Non, cela relève de la liberté d'expression», réplique le responsable. Les dernières élections égyptiennes, marquées par la fraude en faveur du parti au pouvoir, ont montré l'étendue de cette «liberté». Après avoir arraché des images d'un mur, des jeunes trouvent au fond un immense portrait de Oum Kalthoum sous une boîte à pharmacie. La nouvelle Egypte cherche-t-elle à guérir d'un passé lourd bourré de symboles et qui, pour les jeunes, est devenu étouffant ? Après avoir essuyé un refus d'obtenir une salle où organiser un concert, les jeunes regroupés par Khaled, grâce au concours de Yassin, un adolescent skateur, qui se déplace entre les rues encombrées d'Alexandrie comme un moineau dans un champ, décident de «monter sur scène». Seulement voilà, l'endroit choisi est mitoyen avec une salle de prière. Les fidèles, qui ne sont pas des barbus, demandent aux organisateurs de la fête de changer de lieu. A ce moment, la police passe et exige des artistes de prendre leur matériel et de partir. En Egypte, comme dans l'ensemble du monde arabe, les jeunes sont ligotés par deux ordres qui se complètent, l'un passéiste et réprobateur, l'autre oppresseur et dissuasif. C'est la déception ! Mani ayez khalass haga (c'est fini, je n'ai besoin de rien !) , la chanson de la fin est porteuse d'un message terrible qui peut annoncer des tempêtes à venir si les gardiens du temple n'ouvrent pas les fenêtres. Ici et maintenant ! La démarche artistique novatrice de Ahmed Abdallah Essaied, un défenseur crédible du cinéma indépendant en Egypte, s'est articulée sur le jeu libre de la caméra subjective et sur des histoires vraies des artistes d'Alexandrie. Il y a quelque part une volonté de faire un documentaire qui prend l'allure rapide et tonique d'une fiction. «La plupart des personnages ont écrit leurs propres rôles. Tous les artistes ont compris qu'ils font quelque chose d'important», a déclaré Khaled Abol Naga, lors d'une rencontre avec la presse après la projection du long métrage. Il a cité l'exemple du groupe féminin Mascara, dont les membres refusent de montrer leur visage, qui a accepté de jouer dans Microphone et de monter sur scène lors du dernier Festival international du cinéma du Caire. «C'est un nouveau langage cinématographique. Nous devons sortir de l'ordinaire. Il est important que de temps à autre un film casse les règles connues du cinéma», a-t-il noté. Sur ce plan, Microphone a réussi et autorise à prévoir la naissance d'un nouveau courant dans le 7e art arabe. Microphone a reçu le Tanit d'or aux dernières Journées cinématographiques de Cartaghe (JCC), en Tunisie, et a été distingué meilleur film arabe au Festival du Caire début décembre 2010.