Si le pays s'appelait la Tunisie, l'information passerait inaperçue dans le flot de nouvelles provenant du pays de Ben Ali sur le contrôle exercé par le régime sur internet depuis son introduction au pays. Mais il s'agit là du Canada, contrée où, selon une étude publiée au début du mois en cours, 82% de la population (utilisatrice ou non) se sont déjà connectés à internet. Pourcentage qui place le pays au deuxième rang mondial, après les Etats-Unis, en termes de proportion d'accès à la toile. Le gouvernement canadien a déposé aux Communes (Chambre basse du Parlement), mardi dernier, la veille de la tenue du Sommet mondial sur la société de l'information, un projet de loi sur « l'interception légale des communications ». La ministre de la Sécurité publique, Anne McLellan, a préparé un projet qui permet aux policiers et autres espions canadiens d'obtenir, sans mandat, « des renseignements généraux sur un abonné, comme son nom, son adresse, son numéro de téléphone et de cellulaire (mobile) ou son adresse IP (le numéro qui identifie l'ordinateur sur internet) ». L'écoute ou l'interception elle-même des communications restent assujetties à une autorisation de la justice. Dans la pratique, certains fournisseurs de services internet ou de téléphonie mobile acceptent de transmettre des renseignements personnels à la police ou au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), mais dans certaines provinces, il faut absolument un mandat judiciaire. Avec les nouvelles dispositions, l'exigence du mandat disparaîtra, expliquent certains observateurs canadiens. La loi oblige aussi les fournisseurs de services internet et les opérateurs télécoms à se doter de capacités d'interception des communications. Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, les opérateurs télécoms canadiens, particulièrement du secteur du mobile, ne sont pas dotés de moyens performants pour permettre des écoutes efficaces, affirment les spécialistes locaux. Ceci en raison des coûts élevés des outils d'écoute. Les quatre opérateurs mobiles locaux et les fournisseurs de services internet ont une année pour se conformer à la nouvelle loi, si elle est adoptée. Ils encourent de fortes amendes en cas de manquement à leurs obligations. Le gouvernement fédéral invoque, pour justifier cette nouvelle loi, le fait que « les criminels, les pornographes juvéniles, les membres du crime organisé et les terroristes peuvent recourir à des technologies perfectionnées pour mener leurs activités sans craindre d'être détectés. Cette nouvelle loi fera en sorte que les criminels ne pourront plus profiter de cet avantage ». Jennifer Stoddart, à la tête de la Commission à la protection de la vie privée désignée par le Parlement, a qualifié de « troublante » cette loi. Elle a notamment souligné à la presse canadienne que les abonnés ne devraient pas automatiquement être tenus pour responsables des agissements des internautes qui utilisent leurs comptes. Roch Tassé, coordonnateur de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, cité lui aussi par la presse, ne trouve pas cette loi dangereuse. Il craint toutefois que le gouvernement « réserve pour plus tard un abaissement des critères à respecter pour obtenir un mandat d'écoute électronique ». Il semblerait, selon les médias locaux, que « le gouvernement jonglerait avec la possibilité de modifier le code pénal (appelé criminel) de façon à permettre à un juge de délivrer un mandat s'il existe des motifs raisonnables ‘‘de soupçonner'' qu'une activité illicite a été commise. Pour l'instant, les magistrats doivent statuer sur des motifs raisonnables ‘‘de croire'' ». La presse québécoise, province traversée par un fort courant indépendantiste, a accueilli la nouvelle entre indifférence et titre choc : « Ottawa tente d'avoir l'œil sur vos courriels », pouvait-on lire à la une de certains quotidiens ayant pignon sur rue. Les plus optimistes croient que ce projet de loi partirait avec le gouvernement fédéral de Paul Martin, qui risque de tomber dans deux semaines. Les observateurs rappellent que le Canada rejoint ainsi d'autres pays développés ayant déjà adopté des mesures similaires, il y a quelques années (Etats-Unis en 1994, Australie en 1997, Royaume-Uni en 2000 et Nouvelle-Zélande en novembre 2004). Il ne s'agit, en fin de compte, que d'une opération de mise à niveau !