Le président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, a été contraint par l'ampleur des événements de sortir de sa tour de Carthage. Après treize jours de révolte sociale et d'affrontements violents entre les manifestants et la police, Ben Ali, dans une tentative d'absorber la colère de la jeunesse tunisienne, a décidé, hier, d'un remaniement ministériel. Le ministre de la Communication, Oussama Romdhani, en a fait les frais. La veille, le président tunisien, au pouvoir depuis 23 ans, lors d'un discours télévisé, a usé d'un ton menaçant à l'égard des manifestants ; il a accusé «des cercles politiques de vouloir ternir l'image du pays». Pour la journaliste et militante Sihem Bensedrine, la sortie de Ben Ali et le remaniement ministériel sont «une fuite en avant. Dans son discours, il a proféré des menaces, c'est la politique du bâton, il va lâcher sa police contre les manifestants. Voilà ce que propose le pouvoir !» Pour elle, «la peur a changé de camp et cette révolte a montré la prise de conscience de la jeunesse tunisienne et son rejet d'un Etat illégitime. Les manifestants sont clairs dans leurs revendications, dans leur slogan – Le travail est droit, oh bande de voleurs – ils nomment Ben Ali». Jointe par téléphone, l'opposante tunisienne a indiqué que «la colère a touché ce que nous appelons les oubliés de la République, notamment à l'ouest du pays. Elle est liée au chômage et à un pouvoir d'achat qui s'amenuise. Mais les éléments déclenchants sont les atteintes à la dignité et à la liberté et les humiliations policières dont sont victimes les Tunisiens». Quant à la somme de 15 milliards alloués au développement de Sidi Bouzid, ce «n'est qu'une goutte d'eau dans un océan ; elle représente un cinquième d'une des villas des gendres de Ben Ali», a commenté Sihem Bensedrine. La sortie du chef d'Etat tunisien s'est accompagnée d'une vague de répression et d'arrestations dont la cible était essentiellement les journalistes et les avocats. Deux avocats, Abderaouf Ayadi, membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et son collègue Choukri Belaïd ont été arrêtés par «la police politique» juste après le rassemblement organisé mardi passé à Tunis, au cours duquel ils avaient pris la parole. Ils ont passé la nuit au commissariat de police avant d'être libérés hier matin. Le même jour, le secrétaire général du CNLT, Abdelkader Ben Khemiss, a été pris à partie par des policiers en civil lors d'une marche dans la ville de Kef. Trois autres avocats ont été passés à tabac par la police dans la région de Djendouba (nord-ouest) et le journaliste de Radio Kalima, El Mouldi Zouabi, qui accompagnait les avocats, a été emmené violemment au commissariat de police. Son confrère El Moez El Bey se trouve dans les locaux de la police depuis une semaine.