Le cinéaste marocain, Hassan Benjelloun, a décroché le prix du Meilleur scénario au quatrième Festival international du film arabe d'Oran (FIFAO), qui s'est déroulé du 16 au 23 décembre 2010, pour son long métrage Al Mansiyoun (Les oubliés de l'histoire). Sorti en 2010, le film raconte la traite des blanches et l'exploitation des sans-papiers en Europe. Le film a également décroché le Premier prix du scénario et le prix de la Meilleure interprétation masculine au Festival de Tanger ainsi que le prix du Public au 16e Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan. Connu pour ses films courageux tels que La chambre noire ou Fin Machi ya Moshé ?, Hassan Benjelloun, 60 ans, a commencé sa carrière par la réalisation de courts métrages (Yarit , Les Amis d'hier, La Fête des autres, Les lèvres du silence, Moudawana, etc.) -Vous avez la réputation d'être un casseur de tabous. Jusqu'où cela est-il possible ? J'essaie de parler de sujets qu'on évite, qu'on ne trouve pas dans les livres d'histoire ou dans les articles de journaux. Des sujets qu'on n'aborde même pas entre nous. Dans mes films, j'ai traité des thèmes liés à l'exploitation des sans-papiers en Europe par la mafia dans les maisons closes. Tout le monde est au courant de cela, mais personne n'en parle. Il y a un code du secret. J'ai abordé la question politique des années de plomb au Maroc et j'ai dévoilé aussi la question de l'exode des juifs marocains vers Israël Avec votre film Fin machi ya -Moshé ? (Où vas-tu Moshé ?) Oui. Personne n'évoquait cette question. 350 000 Marocains ont quitté le Maroc pour Israël. Tout ce qui concerne les juifs est entouré de tabous. Depuis, il y a eu des livres et d'autres films sur cette thématique. Et les journaux publient des articles sur ce sujet. Il y a eu donc un changement. Contrairement à ce que vous dites, je ne me considère pas comme un casseur de tabous. Il y a des sujets qui me tiennent à cœur que j'aime partager avec d'autres et provoquer la réflexion. -Quelle a été la réaction au Maroc après la sortie de Fin machi ya Moshé ? Il y a eu une réaction magnifique. Beaucoup de personnes s'y sont identifiées. La plupart des Marocains avaient un voisin, un cordonnier, un coiffeur ou un horloger juif. Fin machi ya Moshé ? est avant tout un film humain. Ce n'est ni pro ni anti. Il raconte l'histoire d'un Marocain qui n'arrivait pas à quitter son pays. -Et qu'en est-il de El Mansiyoun et l'accueil du public… ? Un grand accueil. Le long métrage est resté trois mois dans les salles. Et il y est encore à Casablanca. J'ai reçu des e-mails de mamans qui me remercient. Elles estiment que le film contribuera à ouvrir les yeux de leurs filles. Idem pour les garçons pris par l'envie de partir. Je n'interdis rien du tout. Je suis pour l'émigration légale et correcte pour que les gens ne soient pas exploités par les autres. Le journal Etajdid, organe du Parti pour la justice et le développement (PJD), le parti islamiste, a écrit un article favorable sur «Les oubliés de l'histoire». Cela m'a surpris agréablement. Les scènes chaudes dans le film sont passées grâce à la dramaturgie… -Et quel a été le déclic de cette histoire ? J'allais présenter le film La Chambre noire à Amman. J'ai pris l'avion Casa-Tunis-Amman. Dans l'appareil, une trentaine de filles faisaient le voyage. A l'escale tunisoise, je me suis retrouvé seul avec ces familles. J'ai dû leur remplir les documents, car elles ne savaient ni lire ni écrire. C'est à ce moment que j'ai commencé à leur poser des questions. Elles m'ont raconté beaucoup de choses. Une fois en Jordanie, j'ai entamé une enquête sur les raisons exactes de la venue de ces filles. J'ai même visité des asiles où vivaient des filles devenues folles à cause de ce qu'elles ont enduré. Des filles qui ont voyagé avec un contrat d'artiste ou d'esthéticienne pour être ensuite orientées vers la prostitution. Elles se sont fait piéger. -La chambre noire, qui pose des questions sur le Maroc d'une certaine époque, a été salué par la critique pour son courage... Après ce film, il y a eu la réconciliation au Maroc. On ne peut pas affronter la mondialisation sans faire la paix avec sa mémoire, avec son identité, avec soi-même. On ne peut pas être à l'aise si nous n'avons pas évacué tous les complexes. Je travaille beaucoup sur la mémoire. Si nous n'arrivons pas à voir nos problèmes en face et trouver une solution pour se réconcilier, on ne peut pas aller au-delà. La réalisation de tous ces films n'a pas été facile. C'est aussi notre rôle en tant que cinéastes de faire des choses comme cela. Nous avons la chance de nous exprimer, alors autant faire des films utiles. -La lune rouge est un projet sur lequel vous travaillez actuellement... J'allais dire que je voulais me reposer un peu et faire un film sur un grand compositeur marocain aveugle, Abdessalem Amer. Il a notamment composé la célèbre chanson Al Qamar al ahmar (La lune rouge), Qissat Achouak, Habibati, les meilleures chansons marocaines ont été composées par ce grand artiste. C'est une biographie. En racontant la vie de Abdesselam Amer, on revient sur l'histoire récente du Maroc. Il a vécu quarante ans. Je raconte donc l'histoire du Maroc de 1939 à 1979. Le scénario de ce film est écrit par Bachir Qarman. -Quel est l'état du septième art au Maroc actuellement ? Nous avons une production d'une quinzaine de longs métrages et 80 courts métrages. Il existe 70 festivals au Maroc. Cela est important. Malheureusement, des salles de projection ferment. Le piratage des DVD fait des ravages. Cependant, il existe une nouvelle politique pour encourager le cinéma et construire les salles.