La révolte sans précédent que connaît la Tunisie depuis la mi-décembre contre le chômage et le régime policier instauré depuis près de 24 ans par le président Benali a dégénéré le week-end dernier en émeutes sanglantes, faisant quatorze morts à Thala et Kasserine selon le gouvernement, et au moins 23 selon l'opposition. Après une accalmie de quelques heures, celle-ci s'est poursuivie hier pour la troisième semaine consécutive dans plusieurs localités du pays. Alors qu'un homme blessé dimanche par balles a succombé lors de son hospitalisation, les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre ont repris, en effet, dans les villes de Kasserine, Thala et Regueb, situées dans le centre-ouest de la Tunisie. A Kasserine (290 km au sud-ouest de Tunis), un homme atteint de plusieurs balles et admis à l'hôpital dimanche, Abdelbasset Kasmi, a succombé à ses blessures hier matin, selon Sadok Mahmoudi, membre du bureau exécutif de l'Union régionale des travailleurs tunisiens (UGTT). La même source a également fait état d'«un grand nombre» de personnes blessées qui se trouvaient en réanimation à l'hôpital de Kasserine, placé sous contrôle de l'armée. D'après des médecins, l'établissement manque de sang pour traiter les blessés. Sadok Mahmoudi a indiqué par ailleurs que les manifestations s'étaient poursuivies à la mi-journée dans le centre de Kasserine, devant le bâtiment du syndicat régional. A Regueb, la police est intervenue pour disperser les habitants qui manifestaient à l'occasion de la mise en terre des morts du week-end. Dans cette localité, totalement paralysée en ce jour de marché hebdomadaire, l'armée a tenté de s'interposer entre les forces de sécurité et les manifestants, selon Slimane Roussi, un enseignant défenseur des droits de l'Homme. Le mécontentement populaire ne semble pas près de s'arrêter. Au contraire, il peut à tout moment s'étendre à l'ensemble de la Tunisie. A Tunis, la capitale du pays où des manifestations sont prévues aujourd'hui, des unités de la police antiémeute ont commencé d'ailleurs à se déployer dans le centre-ville pour renforcer le dispositif sécuritaire dans la capitale. Toujours au chapitre des droits de l'homme, nous avons appris hier que la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH) a réclamé la suspension des négociations sur un «statut avancé» de partenariat entre l'Union européenne (UE) et la Tunisie, en raison des violences lors des manifestations dans ce pays. La Tunisie et l'Union européenne, déjà liées par un accord d'association, ont lancé en mai 2010 des négociations en vue d'un renforcement de leurs relations, dans la perspective d'un «statut avancé» qui serait accordé par l'UE. «Il est urgent de demander à l'Union européenne de suspendre les négociations pour le statut avancé en cours», a estimé la présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen. «Il faut que ces négociations sur le statut avancé soient suspendues, en attendant d'intégrer tout ce que nous demandons depuis des années (...) et que soient respectés le développement de la démocratie et les droits de l'Homme», a ajouté Mme Belhassen. Mais il est peu probable que l'appel de la FIDH soit entendu dans la mesure où le régime de Benali bénéficie de la protection de certains poids lourds de l'UE. Le président tunisien, signale-t-on, devait prononcer hier une allocution télévisée, sa deuxième intervention à la télévision depuis le début des troubles à la mi-décembre, rapporte le journal Assabah. Dans sa première allocution, le chef de l'Etat avait jugé les manifestations violentes inacceptables, estimant qu'elles portaient atteinte aux intérêts de la nation. De son côté, le gouvernement tunisien a réitéré la «légitimité» du mouvement social en Tunisie, mais fustigé des médias accusés d' «exagérer ou de déformer les faits». A rappeler que la Tunisie est un pays où la presse est muselée et où l'opposition politique ne dispose d'aucune marge de manœuvre.