Quand le pays du jasmin brûle, cela encense le monde…». Depuis vendredi et la chute du régime Ben Ali, dans les rues algériennes flotte comme un parfum de jasmin. «Grandiose ! Fantastique ! Quel peuple !» s'extasie, en levant les bras, un quinquagénaire, pharmacien dans la banlieue algéroise. «Il fallait s'y attendre, tout le monde, aussi puissant soit-il, est un jour rattrapé par ses actes», ajoute-t-il, avec un clin d'œil entendu. D'autres, par contre, avouent avoir été des plus surpris par les événements. «Nous pensions que la Tunisie, modèle par excellence des régimes arabes, était un pays où il faisait bon vivre», explique un sexagénaire. «Eh bien, nous avons découverttout le contraire ! Et il faut rendre hommage au courage et à la pugnacité de tous ces citoyens», conclut-il. «J'ai suivi avec attention, jusque tard dans la soirée, le fil des événements. Les Algériens ont de quoi avoir honte», estime un trentenaire. «Eux qui passaient leur temps à se moquer des Tunisiens et à dire qu'ils ne sont pas des hommes… Quelle leçon donnée aux blablas algériens», ajoute-t-il avec un haussement d'épaules. Mais les réseaux sociaux sont assurément l'endroit où les Algériens ont le plus intensément apporté leur soutien aux «frères tunisiens» et ont montré leur admiration pour ceux qui sont les «vrais lions» du Maghreb. Sur facebook, plate-forme favorite des internautes algériens, le déroulement des événements s'est fait heure par heure, minute par minute même. Frustrés par l'essoufflement de la vague de contestation en Algérie, les «facebookistes» se sont rabattus sur la révolte voisine. Les nombreuses vidéos des émeutes et de la sanglante répression des forces de l'ordre tunisiennes sont postées encore et encore, avec forces commentaires et invectives. L'on fait des parallèles avec la situation algérienne, mais l'on ironise aussi et surtout sur «ce gouvernement qui calme la fronde populaire à grand renfort de bidons d'huile». Puis, à mesure que les événements se précipitent à Tunis, une frénésie «rouge» s'empare de la Toile. «Historique ce qui se passe en Tunisie. Le peuple ne croit plus aux promesses éculées et n'a plus peur. La peur a changé de camp», commente-t-on à foison. Par «solidarité avec les frères tunisiens» qui, sur une place noire de monde, affrontent, pour le changement, les CRS, des drapeaux tunisiens sont mis en photos de profil. Et, enfin, la chute. Rivalisant avec les agences de presse, les internautes inondent, en temps réel, la Toile des développements de cette «révolution rouge». «À qui le tour ?» Certains dressent le plan de vol suivi par Ben Ali, en commentant : «Inchallah yakhlaslou l'kérosène (Incha Allah il va tomber en panne de kérosène)», ironise-t-on. D'autres restent focalisés sur le camouflet donné par les Tunisiens aux autres peuples arabes : «Nous chambrions les Tunisiens en les traitant de ‘'khfafs'' (beignets). Ils ont renversé leur régime. Les Algériens ont été amadoués avec des subventions sur l'huile, la farine et le sucre. Qui sont, ironiquement, les ingrédients des ‘'khfafs''…» Et les Algériens ne manquent ni d'humour ni de mordant. Une fausse info tombe même : «Dépêche agence Tass : «l'avion de Ben Ali devrait faire escale à Alger. On croit savoir qu'il doit récupérer quelqu'un».» Car une question qui revient sur toutes les lèvres et sur tous les statuts : «Les Tunisiens ont montré que la tyrannie pouvait être vaincue par la mobilisation citoyenne. A qui le tour maintenant ?» Alors, «pourquoi pas nous ?», peut-on lire un peu partout. Mais l'on n'y croit pas vraiment. La différence ? «Les Tunisiens sont arrivés à la maturité politique et à la conscience citoyenne. Pas nous, nous avons raté le coche», déplore un trentenaire. D'autant plus qu'en «Algérie tout le monde veut la révolution mais à condition qu'elle soit faite par les autres !», estime quant à lui un bloggueur. Avis partagé par un sexagénaire : «Les Algériens ? Non. Ils sont fatigués. Le peuple a changé. Il est aujourd'hui incapable de se sacrifier, de se battre et d'essuyer les brimades des forces de l'ordre, pour son pays et pour lui-même.» Alors, en attendant un hypothétique sursaut fleurant bon le jasmin, une chose est sûre : de vendredi à samedi, des millions d'Algériens avaient décidé d'être tunisiens…