La France, embarrassée par une complaisance sans faille face à la révolution pacifique qui est en train de se produire en Tunisie, s'est montrée, depuis le début, d'une extrême réserve, l'Elysée se contentant, vendredi soir, d'en «prendre acte», une réaction tranchante avec celle du président américain, Barack Obama. Ne s'attendant certainement pas à une chute aussi rapide de Ben Ali, un allié comme étant le meilleur rempart contre l'intégrisme, dans un pays présenté comme un modèle de développement, le président Sarkozy a convoqué, hier, une réunion interministérielle pour «évaluer la situation» en Tunisie, et celle «des ressortissants français» dans ce pays. Serait-ce pour corriger une prudence et une réserve jugées «excessives» par de nombreux observateurs. Les manifestants tunisiens retiendront que l'Etat français aura été le soutien jusqu'au bout d'un chef d'Etat liberticide, honni par tout un peuple. L'embarras de la France ne fait pas de doute. Comment se remettre au diapason d'une actualité qui a créé la surprise au niveau mondial ? Cela suffit-il de refuser l'accès du territoire français à Zine El Abidine Ben Ali pour se racheter une nouvelle image ? «Ce sont des problèmes très compliqués. Plus on est discret, plus on est efficace. C'est extrêmement sensible, extrêmement délicat», expliquait un proche du chef de l'Etat, vendredi, vers 19h, au moment même où l'on apprenait que Zine El Abidine Ben Ali avait quitté la Tunisie, et donc le pouvoir, rapporte Le Parisien. Les conseillers du président Sarkozy ne cachaient pas leur inquiétude face à son départ : «Si Ben Ali chavire, qui le remplace?», rapporte encore Le Parisien. Dans un communiqué laconique (publié vendredi soir sur le site de l'Elysée), «la France prend acte de la transition constitutionnelle annoncée par le Premier ministre Ghannouchi» et «souhaite l'apaisement et la fin des violences», estimant que «seul le dialogue peut apporter une solution démocratique et durable à la crise actuelle», en soulignant toutefois que «La France se tient aux côtés du peuple tunisien dans cette période décisive». Ce communiqué intervient après la proposition, depuis l'Assemblée nationale de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, d'une aide sécuritaire au régime tunisien au moment où une répression violente s'abattait sur les manifestants tunisiens, proposition qui a soulevé l'indignation de l'opposition française, des organisations des droits de l'homme françaises et de l'opinion publique tunisienne. «Nous proposons que le savoir-faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C'est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays [Algérie et Tunisie, ndlr], dans le cadre de nos coopérations, d'agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité». Le lendemain, le porte-parole du Quai d'Orsay nuance : «Aujourd'hui, face à cette situation, la priorité doit aller à l'apaisement après des affrontements qui ont fait des morts». Et d'ajouter : «le ministre d'Etat a également rappelé que nous demandons que le droit de manifester soit assuré de même que la sécurité». La réaction, vendredi soir, de l'Elysée tranche avec celle exprimée par la Maison-Blanche. «Je condamne et je déplore l'usage de la violence contre les citoyens exprimant pacifiquement leurs opinions en Tunisie, et j'applaudis le courage et la dignité du peuple tunisien. Les Etats-Unis, avec l'ensemble de la communauté internationale, observent, avec soutien, ce combat courageux et déterminé pour les droits universels que nous devons tous défendre, et nous nous souviendrons longtemps des images du peuple tunisien cherchant à faire entendre sa voix [...]», écrit Barack Obama, dans un communiqué publié vendredi soir sur le site de la Maison-Blanche. Rappelons aussi,que tout au début de la contestation populaire en Tunisie, l'ambassadeur de Tunisie a été convoqué au Département d'Etat pour un sévère rappel du respect des droits de l'homme à l'égard des manifestants. Comment la France a-t-elle pu s'enfermer dans un soutien sans faille au régime de Ben Ali, alors qu'elle appelle à la démocratie en Côte d'Ivoire ? Se montrer sourde et aveugle à la révolte populaire ? Si complaisante avec une «dictature» dont le ministre de la Culture, Frédéric Mitterand trouve l'expression «exagérée». Il est vrai que les chefs d'Etat français, de gauche ou de droite, à l'instar de François Mitterand, Jacques Chirac jusqu'à Nicolas Sarkozy, en refusant de condamner des pratiques mafieuses, répressives de toute expression démocratique, se sont posés en protecteurs d'un régime policier, érigeant le tout sécuritaire en règle de gouvernance au motif d'empêcher une possible «islamisation» de la société tunisienne. En visite officielle en Tunisie, Nicolas Sarkozy estimait que «l'espace des libertés progresse», refusant de «s'ériger en donneur de leçons». Cette complaisance teintée de paternalisme, voire de condescendance, n'a pas servi la Tunisie et les Tunisiens. Ni l'image de la France, patrie des libertés et des droits de l'homme. Il est temps de se rattraper.