En dépit des accusations dont fait l'objet l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), le mouvement syndical a été une véritable locomotive pour la Révolution du jasmin. En avance sur le bureau exécutif, la base ouvrière, structurée au sein des fédérations de secteurs et des unions territoriales, a fourni toute sa puissance physique au mouvement de la rue. D'ailleurs, la marche imposante du 14 janvier, date de la chute de Ben Ali, a pris naissance au pied du siège de la centrale syndicale, sis place Mohamed Ali. Les marches quotidiennes, qui ont suivi l'annonce de la composante du gouvernement de transition et appelant au départ d'El Ghannouchi et ses collègues issus du RCD, ont été initiées en majorité par le syndicat. L'UGTT, qui a été chargée de trois portefeuilles ministériels, s'est retirée tout de suite après l'annonce de la liste du gouvernement, refusant de composer avec les anciens du régime. Ceci dit, la base a joué un rôle décisif en faisant pression sur la direction pour se retirer du gouvernement «phagocyté» et refuser tout compromis sur le dos de la Révolution. C'était le cas aussi avant le 14 janvier. Les émeutes endémiques provoquées par l'immolation du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid et les revendications sociales qui ont marqué les mots d'ordre des manifestants ont tout de suite attiré l'adhésion des travailleurs. Partout, les sections syndicales commençaient à apporter leur soutien aux manifestants et à rejoindre le mouvement sans s'encombrer de l'aval de la direction. Comme Tunis avait été la dernière ville à se soulever, la direction du syndicat avait rejoint en dernier la volonté de la base. D'ailleurs, jusqu'au 13 janvier, le secrétaire général croyait encore aux promesses de réforme faites par Ben Ali. A l'issue de sa rencontre avec le président déchu, ce même jour, Abdeslem Jrad avait déclaré : «J'ai eu l'honneur de rencontrer le chef de l'Etat et ce fut une occasion pour un très important entretien, au cours duquel nous avons abordé la situation douloureuse dans certaines régions du pays, ainsi que des idées et des propositions de l'UGTT. J'ai trouvé auprès du président de la République une vision profonde des principaux problèmes et de leurs causes et une volonté de les résoudre.» Affirmant, au nom des travailleurs, la satisfaction de l'organisation des promesses du président, Jrad a ajouté en conclusion : «J'ai trouvé auprès du chef de l'Etat toute la considération pour les travailleurs et pour leur organisation ainsi que toute l'attention à cette catégorie et aux personnes nécessiteuses.» Bien entendu, la base militante, traversée par toutes les tendances politiques avec une franche domination de la gauche, n'a nullement fait cas de ces déclarations et a imposé ses propres choix au syndicat. Cette pression a inscrit l'UGTT dans la frange la plus radicale de la société qui revendique le changement et forme un sérieux avertissement pour le capital tunisien, seul maître dans la gestion économique du pays.