L'ancien Premier ministre, Mouloud Hamrouche n'a pas manqué de rappeler les réactions et les résistances qu'il avait rencontrées lorsqu'il voulait mettre en œuvre son programme de réformes alors qu'il était à la tête du gouvernement. L'ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche, invité par l'Académie diplomatique internationale de Paris, s'est attaché, hier matin, dans une conférence-débat sur le thème «Maghreb : perspectives d'avenir», à «déconstruire» le système autoritaire au Maghreb et dans le monde arabe. Ceci pour aider à comprendre la situation qui prévaut dans cette région et plus particulièrement en Algérie et proposer des clés pour en situer l'évolution possible. Comment construire un nouveau consensus en remplacement des consensus existants, qui sont fondés sur des intérêts du groupe, qui tirent leur légitimité de la situation de crise, de non-droit, de violence ? Comment faire adhérer la population et la faire patienter jusqu'à son aboutissement ? Un questionnement sous forme d'alternative posé par celui que la presse nomme «l'enfant terrible du système», a rappelé lui-même l'ancien Premier ministre qui n'a pas manqué de rappeler aussi les réactions et les résistances qu'il avait rencontrées lorsqu'il voulait mettre en œuvre son programme de réformes alors qu'il était à la tête du gouvernement. Amener les gouvernants à accepter et à leur faire partager l'idée de construire des alternatives est, selon Mouloud Hamrouche, le premier préalable. Le deuxième préalable consiste à négocier, discuter et construire un consensus naissant, «lequel se construit au fil du temps, en commençant par éroder les consensus illégitimes en vigueur» ; «comment parler à la population, la convaincre que cette fois-ci c'est sérieux, définitif». «Comment imposer un débat au sein des instances dirigeantes ? C'est ce qui manque en Algérie. Notre système a évolué de telle sorte qu'il refuse de se soumettre à un fonctionnement institutionnel. Rien n'empêche le gouvernement de se réunir, de débattre d'un problème et de décider.» «C'est le chef tout seul qui décide. C'est le premier magistrat, le premier imam, le premier économiste, le premier financier. C'est ce qui a donné naissance à cette revendication de l'Etat islamique, puisque l'Etat c'est un homme qui décide, c'est le prince.» Concernant la Tunisie, ce pays voisin «a encore les structures administratives que nous avions en Algérie en 1988, l'expertise économique, financière que l'Algérie n'a plus». En Algérie, «après vingt ans, les gens ont pris conscience que l'impasse est là, le pouvoir a perdu beaucoup de son expertise, le gouvernement a beaucoup d'argent mais ne sait pas comment le dépenser, il ne sait pas comment mobiliser les potentialités économiques du pays parce qu'il y a un dysfonctionnement de l'administration gouvernementale. C'est un problème supplémentaire, grave, parce qu'il faudra une approche très complexe à plusieurs claviers tout en essayant de construire des consensus, amener les gens à les concrétiser et à les assurer, les choses ne doivent pas être faites à leur détriment mais pour eux et avec eux». «Avec le temps, le système autoritaire a perdu sa capacité d'opérer toute régulation en commençant d'abord à éliminer les contradicteurs, les empêcheurs de tourner en rond, ceux qu'on appelle les opposants. Il a éliminé toute régulation sociale. Et les gouvernants sont devenus réfractaires à tout fonctionnement institutionnel de gouvernement, à toute réforme institutionnelle.» Cela est valable pour tous les régimes autoritaires de la région. Et plus particulièrement en Algérie, ce comportement a entraîné progressivement une confusion entre tout ce qui est étatique, politique, religieux, économique. «Cette confusion a été souvent génératrice de pratiques de passe-droit, de corruption et d'abus de droit. Ces pratiques, avec le temps, ont enfanté l'insécurité, créé l'injustice, généré des zones de non-droit, y compris au sein de l'Etat, et des révoltes de la population, notamment parmi les jeunes.» «Ces éléments, ces facteurs d'insécurité, de non-droit, de révolte, d'émeutes deviennent des causes ou sont provoquées pour promulguer des lois d'exception, instaurer l'état d'urgence. Ces mesures, on peut le constater, n'ont amélioré ni la légitimité des gouvernants, ni renforcé le contrôle et la sécurité, ni aidé à la mise en place d'un Etat de droit, comme ils n'ont pas empêché l'extension des violences et des actes terroristes ; ils ont davantage accentué les impasses politiques, sociales, économiques et sécuritaires.» «Ce système qui fonctionne sur la répression ne peut pas engendrer une démocratie, construire un comportement citoyen. La population est dans un esprit de rejet.» Ceci pour le constat. Sur le rôle de l'armée, M. Hamrouche considère que «le poids des dérives, depuis vingt ans, a été porté par l'armée, ce qui laisse énormément de séquelles, de frustrations et un goût amer d'inachevé parce qu'en fait, cela fait vingt ans que l'armée essaie de mettre de l'ordre ; son action est orientée vers l'action antiterroriste, donc ramener la sécurité, mais malheureusement, parallèlement à cela, rien n'a été fait. Au moment où l'armée s'occupait de lutter contre le terrorisme, les appareils administratifs ont été défaillants et, aujourd'hui, les partis politiques ne constituent pas une force réelle pour pouvoir, demain, servir d'appui à l'application d'une politique nationale d'Etat.» Comme alternative. «Les systèmes autoritaires ont tout détruit. La première des choses est la reconstruction du fonctionnement institutionnel de l'exercice du pouvoir. Et avant de parler des élections, il faut d'abord parler d'émergence des forces politiques et sociales.»