Dans le cas algérien, pris dans le dilemme d'à la fois déstructurer, fragmenter tout mouvement alternatif porteur de transformations – et donc réprimer et infiltrer les cadres dirigeants, militants et d'encadrement– au risque de développer la chienlit et des mouvements non contrôlables, nihilistes, mais en même temps de vouloir mettre en avant des structures ou des corps intermédiaires qui feraient remonter les demandes et les exigences que l'Etat n'arrive pas à dépasser ses contradictions, contrôler et faire advenir des médiations crédibles. Le mouvement associatif entre à partir des années 1990 durablement dans cette stratégie et survit dans une logique perverse. Cette contradiction est assez patente quand on observe les mouvements post-88, à base culturelle ou identitaire, où cette stratégie contradictoire a abouti à déconsidérer, à phagocyter et à délégitimer le mouvement social. Au bout de la double décennie, on observe que la force de l'Etat répressif est toujours là, qu'elle se réduit à son seul caractère sécuritaire, qu'un certain contrôle fonctionne toujours, mais que derrière il y a le vide et la faillite du mode de régulation sociopolitique, fracture béante entre société et Etat, fracture intergénérationnelle, faillite des instances de socialisation, mal gouvernance et corruption endémique caractéristiques d'un système prébendier s'auto-reproduisant à travers la production de nouvelles élites «clonées». Au-delà donc de dérèglements sociaux qui indurent, les violences destructrices et autodestructrices des jeunes, les contestations tous azimuts qui se développent témoignent, à notre sens, de blocages d'individuation, d'individus privés de possibilités – en l'absence de registres collectifs de significations à travers lesquels ils pourraient donner sens à leur vie sociale – de se construire, de s'estimer, de s'affirmer, d'être reconnus en tant que tels. Plus que de la frustration, elles témoignent d'une domination qui phagocyte leur émergence en tant qu'individus libres et responsables. A ce titre, les fractures générationnelles s'approfondissent au bénéfice de la pérennisation d'une classe politique et de vieilles élites dont la légitimation s'épuise et l'implosions lourde de conséquences pour l'avenir est à l'ordre du jour. L'Algérie est de ce point de vue le pays où les risques de dislocation sont les plus grands. Le mouvement par le bas est fragmenté et instrumentalisé, le sommet et les centres de pouvoir sont eux-mêmes fragmentés même si la situation explosive fait serrer les coudes de catégories sur le même bateau qui prend l'eau. L'absence d'intermédiation, l'agrafage des élites aux pouvoirs, l'instrumentalisation des partis dans des jeux de cénacle augurent de mouvements non contrôlables qui vont se greffer sur les frustrations et les blessures non cicatrisées du passé récent.