L'université algérienne a été le berceau des grands mouvements étudiants. Sont-ils aussi présents et actifs que ceux des périodes coloniale et post-indépendance ? Entre les années 1980 et 1990, la population estudiantine se transforme socialement avec l'accès des classes populaires notamment dans les filières arabisées – en même temps que se mettent en place ou se fortifient des filières de substitution correspondant aux affinités des groupes sociaux dominants. Sous l'effet du nombre et des restrictions économiques, la vie de l'étudiant se sous-prolétarise. A partir des années 1990, le cycle de violence dans lequel entre le pays secondarise et occulte les mouvements sociaux ; le mouvement étudiant se fragmente et rentre dans le rang. Avec les années 1990/2000, on entre dans le cycle des émeutes sporadiques et violentes qui manifestent, dans leur spontanéité, l'effet boomerang des politiques éducatives et universitaires développées jusque-là dans une aveugle continuité par un pouvoir autiste. On peut dire là qu'une des déterminations est le fait que l'école qui a un rôle central dans la socialisation et l'affiliation des jeunes à leur société sur quelles valeurs ? , que l'université qui doit produire du sens, ont failli dans leur construction du « lien social ». Ont-ils été étouffés pour des raisons politiques ? Il n'y pas de doute que 1988 a manifesté des contradictions entre les groupes au pouvoir. Ce qui a prévalu dans la forme de contrôle de la société par L'Etat, c'est un mode d'intervention de l'Etat contradictoire. Pris dans le dilemme de faire obstacle et de déstructurer tout mouvement alternatif porteur de transformations (et donc contrôler, réprimer et infiltrer les cadres dirigeants et organisationnels), mais en même temps de vouloir mettre en avant des structures ou des corps intermédiaires qui feraient remonter les demandes et les exigences sociales, l'Etat reste peu lisible, ambigu et perd du peu de légitimité qui lui reste. Au bout de la double décennie, on observe que la force de l'Etat répressif est toujours là, sans que les médiations autrement que par la rente ne soient développées, qu'un certain contrôle fonctionne toujours mais que derrière, il y a le vide et la faillite du mode de régulation sociopolitique, fracture intergénérationnelle, faillite des instances de socialisation, mal gouvernance et corruption endémique caractéristiques d'un système prébendier s'auto-reproduisant. Cette politique a fait le vide à l'université, elle le tente dans la société. D'après vous, pourquoi a-t-on découpé l'université d'Alger en trois universités alors que dans les pays développés, on a opté pour leur regroupement en pôles universitaires ? On peut observer que les réformes, chez nous, sont toujours prises sans réflexion et étude préalables et surtout sans concertation et débat. Les réformes engagées dans certains pays du Nord tendent en effet à aller ces dernières années vers les regroupements de type Pôles régionaux d'enseignement supérieur (PRES) ou pôles d'excellence comme en France, par exemple. Dans le cas de l'université d'Alger, il s'agit de faire face à une massification généralisée. La taille des établissements devenant un problème en termes de gestion des effectifs et des locaux, des équipements, une des lectures – et c'est là une évidence pour tout un chacun – c'est que l'on vise, par une rationalisation plus efficiente de la gestion, à desserrer l'étau d'une massification qui asphyxie l'institution. Par ailleurs, cette restructuration sans réflexion sur les finalités recherchées ne ferait que démultiplier les arcanes bureaucratiques, lorsqu'on connaît le caractère fortement centralisé de l'institution. De plus, le découpage semble avoir privilégié les dimensions géographiques et disciplinaires au détriment de l'interdisciplinarité sans pour autant prévoir des spécialisations qui auraient construit des « identités » propres à chacune de ces nouvelles universités. Il y a également un autre problème lourd de conséquences pour l'avenir. Cette fragmentation pose aujourd'hui un problème car elle risque d'accentuer le décentrement de la recherche – menaçant même l'existence de celle-ci, notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales –, décentrement déjà largement engagé, sauf à avoir comme perspective la généralisation de premiers cycles fortement décentralisés et professionnalisants, d'un côté, et des deuxième et troisième cycles recentralisés sur quelques pôles.