L'actualité est une chose bien étrange. Sous sa surface bouillonnante, inscrite dans le présent absolu, jaillissent parfois les profondeurs de l'histoire, dans un téléscopage insoupçonné des époques. Aurait-il imaginé, Toutankhamon, il y a 3300 ans, que des descendants de la plèbe qui construisaient palais, pyramides et nécropoles des pharaons, viendraient un jour à la rescousse de ses vestiges faramineux ? C'est pourtant ce qui s'est produit durant ces manifestations égyptiennes historiques où des révoltés ont formé une chaîne humaine pour protéger le Musée du Caire, situé place Tahrir, épicentre des manifestations. Inauguré en 1902, celui-ci comprend plus de 160 000 objets exposés et 60 000 dans ses réserves, ce qui en fait l'un des plus riches au monde. Au XXe siècle, il a reçu plus de cent millions de visiteurs ! D'abord menacé par l'incendie du siège voisin du parti au pouvoir, il avait été pris d'assaut, samedi dernier, par quelques dizaines de pillards. Le patron des antiquités, Zahi Hawass, l'Indiana Jones égyptien (à cause de son chapeau), a déploré notamment la destruction de deux momies d'une valeur inestimable. Mais, aussitôt attaqué, le musée s'est vu protégé par la foule qui a, elle-même, fait appel à l'armée. Et les assaillants ont été arrêtés sous les huées et les insultes. Ce sont donc les citoyens égyptiens qui, admirablement, ont sauvé ce trésor, non seulement national mais mondial. Un des manifestants, âgé de 26 ans, a déclaré : «Cet édifice renferme cinq mille ans de notre histoire. En cas de vol, nous ne la retrouverons jamais !». Beau témoignage d'une conscience historique qui ne relève pas seulement de l'intérêt économique du tourisme. Un autre a ajouté : «Nous ne sommes pas Baghdad». Belle preuve, là, que les peuples apprennent les uns des autres. On se souvient qu'au lendemain de la chute de la capitale irakienne, le 9 avril 2003, son musée, qui renfermait plus de 175 000 pièces archéologiques mésopotamiennes, avait été pillé de fond en comble sous le nez des soldats américains ! Des œuvres uniques de l'histoire de l'Humanité avaient disparu et on ne compte pas les retrouver de sitôt. Parmi les vandales, figuraient de véritables spécialistes, comme l'ont indiqué par la suite la présence d'outils spéciaux, le ciblage de pièces d'une grande valeur, tel le vase de Warka, 3200 ans av. J.C., l'une des œuvres d'art les plus anciennes au monde, ou le dédain de belles pièces que seuls des connaisseurs savaient être des copies. Une partie seulement des collections a pu être sauvée, les conservateurs les ayant mises en lieu sûr et caché, comme d'ailleurs ceux du Musée national des beaux-arts d'Alger durant la tragédie nationale. Comment donc ne pas saluer ces hommes et ces femmes d'Egypte qui viennent nous rappeler qu'on n'entre jamais dans l'histoire si on ne la respecte pas d'abord ?