Après quelques années de léthargie, la littérature égyptienne est de nouveau en plein essor. Le nouvelliste et romancier Nabil Naoum a choisi de donner sa voix à une prisonnière particulière. Toutankhamon. Le pharaon était une femme. Nabil Naoum est un nouvelliste de talent. Avec Moi Toutankhamon, reine d'Egypte (Actes Sud), il démontre que l'on peut parler si justement des sentiments féminins, même si on est un homme. « Non, je ne veux pas me plaindre, même si le silence et l'oubli et la trahison ensevelissent ma solitude. Je suis une femme qui a pu parvenir à l'accomplissement du plaisir et de la gloire, mon corps, mon propre corps, s'est uni aux dieux, je ne vais pas me lamenter sur lui, sur ce qu'il porte. » Premier déséquilibre. Toutankhamon était donc une femme. Incertitude. On révise nos cours d'histoire. Et l'histoire a retenu que Toutankhamon était bien un mâle. Un des grands, sinon le plus grand, pharaons d'Egypte. On revient au roman de Nabil Naoum. Une femme se raconte du fond de sa prison. La femme est jeune, belle. Elle a connu la gloire et le pouvoir. Que fait-elle dans une cellule ? La prisonnière est une déesse vivante. Il s'agit de la princesse égyptienne Tout, connue par l'histoire officielle sous le nom de Toutankhamon, témoin vivant, et menacé, de l'imposture des prêtres d'Amon et du général ambitieux Horemheb. « Vénéré comme un dieu vivant, fils d'Horus, tant qu'il était considéré comme un pharaon, Toutankhamon est condamné dès que se manifeste sa féminité, magnifiée encore par la promesse de maternité. » Oui, il faut s'y faire : Toutankhamon est une femme. Elle est enceinte. Elle attend la mort. Seule. Tout est sereine. Elle parle d'amour, en attendant la mort. Elle continue d'aimer son oppresseur. C'est dans cet amour que réside justement sa victoire. « Moi, Nefret, j'ai joué avec la vie, mais désormais je ne joue plus avec le temps, de crainte de le perdre en réflexions stériles. Je veux plutôt me figurer ta proximité pour mieux me convaincre que je suis toujours vivante, que je respire encore. Moi qui ai connu, enfant, l'ivresse de la chasse, je comprends aujourd'hui, caressant mon ventre gonflé et mes seins pleins de lait nourricier, que tous tes triomphes et tes conquêtes illusoires ne valent pas une parcelle de mon plaisir à ressentir mon ventre se gonfler d'une vie prochaine. » Elle devine qu'elle ne connaîtra jamais le fruit de ses entrailles mais refuse de céder à la haine. Nabil Naoum se moque des pouvoirs usurpés, théocratiques ou dictatoriaux avec une verve enjouée. L'on se plaît à se reconnaître en Tout. Car la femme est un homme comme les autres. Ou le contraire. Peu importe. L'essentiel est dans le refus de l'arbitraire, dans la volonté de ne pas céder à la haine, forcément stérile. A près de 60 ans, Nabil Naoum, après des études scientifiques au Caire, s'est installé pendant dix ans à New York avant de revenir définitivement dans sa ville natale au début des années 1980, où il a ouvert une galerie d'arts. Son premier roman La porte paru en 1977, a été très remarqué.