Pour changer la situation, il n'y a pas de baguette magique, il faut que ceux qui sont porteurs de changement (les élites, les politiques) aillent vers les citoyens, pas seulement dans des salles de réunion restreintes), mais là où vivent et travaillent les Algériens de l'Algérie profonde. Après les émeutes d'octobre 1988, puis celles de janvier 2011, tous les observateurs s'accordent à dire que d'autres émeutes sont à prévoir si des changements radicaux du système politico-économique en place ne sont pas opérés. Au lieu d'attendre d'autres violences qui peuvent déraper, il faut abolir ce système qui sécrète l'injustice, la misère et la corruption, l'autoritarisme. Les vents de révolte qui soufflent en Tunisie, en Egypte et au Yémen ne tarderont pas à atteindre l'Algérie.Les émeutes d'octobre 88 ont eu pour conséquences des réformes politiques opérées par le pouvoir de l'époque, dont l'introduction du multipartisme, même si elles furent néanmoins remises en cause depuis celles de janvier 2011, doivent pousser à un changement profond du système politico-économique mis en place depuis 1962 et qui s'est renforcé dans ses aspects négatifs (autoritarisme, concentration des pouvoirs) depuis 1999. Sinon, les émeutes et les révoltes se multiplieront jusqu'à la chute finale du régime, comme chez nos voisins tunisiens, avec les risques de dérapage, compte tenu de l'affaiblissement de l'opposition démocratique. Les émeutes de janvier, (quand bien même elles auraient été «suscitées» par les gros importateurs et spéculateurs), elles expriment avant tout le ras-le- bol, contre la vie chère et la malvie, par une jeunesse victime d'exclusion, issue de couches défavorisées et marginalisées, sans perspectives d'avenir. Le gouvernement reproche aux groupes de jeunes émeutiers d'user de la violence, mais peut-il en être autrement, quand eux-mêmes subissent une violence sans pareille dans leur vie quotidienne, faite de précarité, de misère, sans même pouvoir rêver à un meilleur sort, alors qu'ils voient les richesses du pays profiter à une seule minorité qui s'accapare de tout et sans vergogne. Comment peut-il en être autrement quand ces jeunes ne connaissent aucune expérience politique, ils sont nés dans l'état d'urgence qui interdit les manifestations à Alger et le bâillonnement de la parole. C'est donc ce système profondément injuste, secrétant l'injustice, la misère et l'autoritarisme que les Algériens rejettent et qu'ils ont du reste de tout temps rejeté, (11 500 émeutes seulement en 2010), sans compter les grèves, sit-in, fermetures de sièges des mairies, grèves, grèves de la faim…). Mais les vents du changement qui ont soufflé jusque-là n'ont pas abouti à la rupture espérée. Les jeunes (et même les moins jeunes) qui ne peuvent obtenir dans leur pays un travail qui leur permet un revenu décent, un logement pour leur famille, des loisirs sains pour se détendre, se retrouvent aujourd'hui face aux choix entre la «harga» (l'émigration clandestine), l'immolation par le feu, le suicide, l'émeute, les maquis islamistes, la drogue. Ceux qui ont eu plus de chance et pu faire des études tentent l'émigration légale, vers le Canada notamment. Or, ne dit-on pas que les jeunes sont l'avenir d'un pays ? Si les jeunes Algériens n'ont pas d'avenir dans leur propre pays, cela ne signifie-t-il pas aussi que le pays est sans avenir ?! Si les émeutiers de janvier sont des criminels, comme le dit le ministre de l'Intérieur, que dire alors du système corrompu et injuste, qui a fait d'eux des «criminels » ? Il devient urgent de remplacer le système actuel devenu obsolète, sclérosé, constituant un obstacle au développement du pays, à sa stabilité et à l'épanouissement des Algériens, par un autre, plus juste, plus humain, qui puisse garantir les droits réels des citoyens dans le cadre d'un Etat de droit (pas seulement dans les textes) et non pas un Etat de passe-droits. Ce système ne peut être que démocratique, car il est le seul à permettre à la majorité de gouverner sans écraser la minorité. Le premier gage pour cela doit être le changement des responsables actuels, qui n'ont même pas eu la décence de démissionner après tous ces événements et qui continuent de gérer les affaires du pays comme si de rien n'était et qui cherchent par tous les moyens à maintenir le statu quo. Pour changer la situation, il n'y a pas de baguette magique, il faut que ceux qui sont porteurs de changement (les élites, les politiques) aillent vers les citoyens, pas seulement dans des salles de réunion restreintes), mais là où vivent et travaillent les Algériens de l'Algérie profonde, pour leur proposer un projet de société et un mode de gouvernance plus conformes aux intérêts de la majorité et non plus ceux d'une minorité de privilégiés. Aujourd'hui, à mon sens, il ne suffit pas d'appeler à des élections législatives ou présidentielles anticipées, sans avoir modifié auparavant le régime électoral et administratif qui a favorisé la fraude, et provoqué la perte de confiance à l'égard de la politique. Pourquoi ne pas opter pour la représentation proportionnelle, au lieu du scrutin majoritaire actuel ? Le suffrage direct, qui semble a priori plus démocratique, ne doit-il pas être remplacé dans certaines élections par un scrutin indirect comme le régime des grands électeurs aux Etats-Unis ? Cela reste une affaire des juristes constitutionalistes, mais en tout cas, il faut un système garantissant la transparence et le droit électoral de tous les citoyens et un système administratif assurant la plus grande représentativité de toutes les régions du pays. Selon mon point de vue, la préparation d'un changement pacifique et profond peut être assuré par un comité de transition, composé de personnalités indépendantes, compétentes, intègres, patriotiques, ayant le soutien de la population et n'ayant eu aucune responsabilité dans la prise de décisions préjudiciables pour le pays. Ce comité serait alors chargé de plancher sur les différentes réformes politiques avant d'aller vers de nouvelles élections. Ce comité de transition doit s'assurer du soutien de l'Armée nationale populaire, ou à défaut de sa neutralité, car sans elle il serait impossible de réaliser des changements durant la transition démocratique, vu son poids et son rôle dans le pays (voir les cas de la Tunisie et actuellement en Egypte). Mais encore faut-il que les décideurs civils et militaires soient convaincus que c'est là la seule façon d'éviter le chaos au pays. Mais, auparavant, il faudra tirer les leçons de l'échec de l'expérience du Haut comité d'Etat et du Conseil national de transition (CNT), structures créées en plein terrorisme dans les années 90, et qui n'ont pas permis à la transition démocratique d'aller jusqu'au bout. N'est-ce pas pour cela que l'on se retrouve vingt ans après au même point de départ ? La transition démocratique n'est pas une question de temps, mais de conditions à réunir, de tâches à réaliser afin de permettre aux citoyens d'exercer leurs droits politiques et de faciliter l'émergence d'une véritable société civile qui fournit l'encadrement politique nécessaire à la gestion démocratique de la cité. Si ces tâches ne sont pas accomplies, la transition reste inachevée et biaisée.