«Nous sommes au milieu de la route, la révolution civile en Tunisie a encore besoin de votre soutien, on en aura encore besoin au cours des mois, voire des années à venir», a indiqué Mahmoud Ben Romdhane, ancien président de la section tunisienne d'Amnesty International, qui conduisait une délégation d'intellectuels tunisiens au 17e Salon du Maghreb des livres organisé à l'Hôtel de Ville de Paris par l'association Coup de soleil. Entouré de Youcef Bensmaïl et Fatma Chérif, deux protagonistes de la nouvelle génération, l'universitaire tunisien, avant d'en venir à «la parole retrouvée», s'est attaché à démonter les ressorts, soubassements, effets et méfaits de la «parole brisée», un élément du système policier et comment la révolution va «briser les chaînes» et «libérer la parole». Et, de manière symbolique, mais non moins significative, de signaler que pour «la parole retrouvée», il transmettra le micro à ses deux jeunes compagnons. Histoire de faire la jonction entre le combat, mené hier par les aînés et celui de ces derniers mois repris par les plus jeunes auxquels appartient l'avenir. «Hier, la seule chose admise était la cooptation, l'allégeance, les plumitifs». «Des espaces hermétiquement fermés aux intellectuels, aux médias, aux journaux pour femmes, à la parole libre». Hier, c'était «le contrôle». Et de rappeler qu'à l'étranger la fonction des services diplomatiques c'était le contrôle des ressortissants tunisiens et secondairement d'être à la disposition et au service de la famille Ben Ali. Toutes les régulations du système policier «ont explosé» Hier, c'était «le bâillonnement» de toutes les institutions ; l'université, «un lieu occupé en permanence par la police», «un lieu de dressage», où l'enseignement de la science politique était interdit. Les universitaires qui n'ont pas obtempéré ont choisi des «domaines désamorcés» qui permettent de travailler «sans être dans l'allégeance». Ce qui explique la «pauvreté» de l'analyse sur la Tunisie contemporaine. Hier, toutes les rencontres étaient soumises à l'approbation de la police. «La Tunisie était fermée à la recherche internationale». Des éditeurs «en état de risque», «non seulement pour leur maison d'édition», mais «pour leur existence, celle de leurs enfants et de leur famille». Cette fermeture de la liberté d'expression est un maillon de l'ancien système politique. Le système mis en place était d'«une perfection quasi totale». L'orateur précise que le premier mode de régulation de ce système «paranoïaque» était le clientélisme et l'allégeance, à tous les niveaux de la société, opéré par «l'Etat parti», le RCD. En second lieu, l'instauration d'un monopole de représentation corporatiste.Ce système mis en place depuis l'indépendance a atteint un niveau de perfection totale sous Ben Ali, précise Mahmoud Ben Romdhane. Il a cantonné la société civile et politique à une vie végétative. Le parti Etat est présent dans tous les appareils du pouvoir, mobilisant 8 à 10 000 fonctionnaires et des bâtiments publics. «Un système dont nous savions tous qu'il était anachronique, suranné», la solution démocratique était «partagée par tous les agents sociaux», «tous les Tunisiens étaient conscients que la démocratie était la seule voie pour sauver notre pays. Mais comment y parvenir ?», «vis-à-vis de la sortie de l'autoritarisme, on ne voyait pas comment», si ce n'est «avec la disparition du détenteur de tous les pouvoirs», témoigne Mahmoud Ben Romdhane. Selon l'orateur, la révolution a été possible parce que toutes les régulations du système policier «ont explosé», «le mouvement social ne s'est pas intégré dans les appareils existants». Et de rappeler que cette révolution a été un «mouvement spontané», «inimaginable» qui a commencé avec l'immolation du jeune Bouazizi, un jeune homme pauvre d'une région pauvre. Toutes les classes sociales ont alors considéré que «c'était trop».Le mot d'ordre étant : «Nous ne voulons plus d'indignité, l'emploi est un droit, bandits, dégagez !». A partir de là, «il n'y avait plus de possibilité de dialogue», ce pouvoir ne pouvait mettre fin à la corruption qu'il avait lui-même générée. C'est «une intifadha sans limite» qui est engagée en Tunisie. Une révolution citoyenne Le peuple tunisien appartient à une terre arabe, d'Islam. Rached Ghannouchi et son parti islamique Ennahdha ne font pas peur aux démocrates tunisiens.Le peuple tunisien sera vigilant sur tout manquement aux règles démocratiques déterminées et assignées à tous les acteurs de la nouvelle Tunisie, a laissé entendre Mahmoud Ben Romdhane. C'est une révolution citoyenne grâce à des jeunes qui ont veillé toutes les nuits pour protéger leurs quartiers de toutes les adversités. Celle d'El Djazira et d'El Karadaoui qui a déclaré la révolution tunisienne illégitime, celle de El Gueddafi qui voulait que Ben Ali revienne, celle de Rached Ghannouchi et d'Ennahda qui ont déclaré que le gouvernement de transition était illégitime. Des forces de destruction massives que Ben Ali a laissées, de la désorganisation. Confiant, il ajoute que «de tout cela, la révolution tunisienne va triompher. Elle a montré que le désir de liberté est immense. C'est une force tranquille». Et de faire remarquer qu'en cinq jours, la Tunisie est passée à une révolution démocratique, et qu' «aujourd'hui, il n'y a rien qui distingue la Tunisie du pays le plus démocratique».«La Tunisie va regarder son passé pour examiner les violations commises par les forces de sécurité, juger les coupables, préparer la Tunisie de demain pour que les forces de sécurité ne soient pas des forces barbares». Une deuxième commission de contrôle de la corruption et de la prévarication a été instituée. Une autre commission est chargée d'élaborer les lois qui permettront à la Tunisie d'aller vers «des élections libres, transparentes et compétitives issues de la volonté du peuple». Toutefois, le chemin est semé d'embûches. Parmi les nouveaux gouverneurs, quelques-uns appartiennent au RCD mais le peuple tunisien est vigilant, il ne laissera passer que ceux en qui il a confiance.