Moment phare de la 17ème édition du "Maghreb des livres" dédiée cette année à la Tunisie, cette rencontre placée sous le thème "La parole retrouvée" a donné lieu à des témoignages d'une vérité cinglante sur le régime du président déchu Ben Ali copieusement décrié par l'ensemble des Tunisiens qui, par une conjonction de plusieurs forces, ont bousculé un régime où l'expression était bâillonnée. Des intellectuels tunisiens ont apporté dimanche dernier à l'Hôtel de ville de Paris leurs témoignages sur la forte protestation populaire ayant conduit au départ du président Ben Ali et aux mesures prises par le gouvernement de transition pour réussir sans heurts le passage à la démocratie. Le professeur Mahmoud Ben Romdhane, de l'université de Tunis, fondateur et ancien président de la section tunisienne d'Amnistie Internationale, a témoigné en sa qualité de porte-parole d'une quinzaine d'intellectuels et d'universitaires, représentant la classe intellectuelle tunisienne, invités à apporter leurs témoignages et points de vue dans le cadre de ce salon littéraire. Il est ainsi revenu sur la période Ben Ali où, a-t-il dit, "seule la cooptation et l'allégeance étaient admises", soulignant que tous les espaces "étaient hermétiques aux intellectuels". "En raison de cette fermeture, les intellectuels qui n'ont pas choisi la voie de l'allégeance, ont opté pour d'autres voies pour ne pas se soumettre et choisi des domaines désamorcés", a-t-il dit. "Ils ont alors parlé ou traité des choses importantes, mais pas de la Tunisie. L'islam et d'autres thèmes génériques qui permettent au moins de travailler noblement, sans être coopté, sans être allégeant mais qui permettent aussi de contribuer à la réflexion universelle", a-t-il dit, soulignant que l'enseignement des sciences politiques est interdit en Tunisie. Pour ce militant des droits de l'homme, "tous les agents sociaux, étaient conscients que la démocratie était la seule voie pour sauver la Tunisie et lui permettre de participer à l'avenir du monde", ajoutant que si le mouvement social a explosé, "c'est par ce qu'il n'était pas intégré dans les appareils politiques existants". "Ce fut un mouvement spontané, animé par un désenchantement de plus en plus profond face à l'absence de perspectives, qui commença par un sacrifice suprême : l'immolation d'un diplômé, pauvre", a-t-il rappelé. A travers le cas de Mohamed Bouazizi, a expliqué M. Ben Romdhane, "il y a eu l'identification de tous les Tunisiens qui ont considéré que ce jeune homme qui avait accepté un travail qu'il pouvait considérer comme indigne de sa formation : vendeur à la brouette de fruits et légumes n'était même plus en mesure d'exercer cette profession pour venir en aide à sa famille. Sa brouette lui a été saisie et il a reçu une gifle. Il n'avait plus d'autres solutions pour échapper à l'indignité que de s'immoler". Sur la transition démocratique, M. Ben Romdhane a expliqué que la Tunisie s'est dotée d'institutions qui vont lui permettre de la réussir. Ainsi, a-t-il poursuivi, une commission d'enquête sur les violations massives commises par les forces de sécurité a été mise en place pour juger les coupables, pour que les forces de l'ordre "soient respectueuses des droits des citoyens y compris dans ce maintien de cet l'ordre". Une commission du contrôle de la corruption, de la prévarication et du népotisme a également été nommée pour veiller "à ce que plus jamais la Tunisie ne soit soumise à la corruption" et un comité de la transition démocratique appelé Comité de la réforme politique, a en outre été instauré. Celui-ci a en charge l'abrogation de "toutes les lois liberticides" et l'élaboration de lois permettant à la Tunisie "d'aller vers des élections libres transparentes et compétitives et d'avoir à tous les niveaux une direction qui doit être issue du peuple", a ajouté cet intellectuel qui estime que la révolution "n'est pas un long fleuve tranquille" et que le chemin "est semé d'embuches".