La brusque dégradation de l'état de santé du président Bouteflika a figé l'actualité politique dans le pays. Premier décideur et la plupart du temps unique source de décision, le chef de l'Etat s'est rendu incontournable aussi bien pour le fonctionnement des institutions que pour l'ouverture et l'avancée de grands dossiers. Il a fini par incarner l'Etat tout entier, effaçant les autres responsables du pays, notamment le chef du gouvernement alors même que ce dernier bénéficie d'importantes prérogatives constitutionnelles. Bouteflika, et c'est dans son tempérament, ne conçoit le pouvoir que dans sa totalité et sa globalité, ce qui lui valut, aux premières années de son mandat, des conflits avec l'armée et des chefs du gouvernement. L'un d'entre eux, Benbitour, a dû recourir à la démission afin de protester contre « l'empiétement de la Constitution ». Benflis invoqua, quant à lui, la même raison mais, à la différence de son prédécesseur, il chercha à disputer à Bouteflika son poste de président de la République. Ce dernier consacra son premier mandat à se positionner sur la scène politique en tant que « leader incontesté » et à évincer ou marginaliser tous ceux qui s'opposaient à cette intention. Il encadra au sein d'une « alliance présidentielle » les partis politiques qui partagent ses points de vue tout en tournant le dos à ceux qui optèrent pour l'opposition. Celle-ci finit par ne pas peser grand-chose sur l'échiquier politique, victime également de ses divisions et de son émiettement, ce qui rendit vaine la constitution d'un vrai « Front démocratique ». Seule la Kabylie, frondeuse par tradition, a échappé à l'emprise des partis de la « coalition présidentielle ». La région tient le chef de l'Etat pour responsable des malheurs qu'elle a longtemps subis. Son second mandat, Bouteflika le voua aux grandes réformes politiques et économiques. Sa grande idée de « réconciliation nationale », dans la continuité de la « concorde civile », qu'il mit en pratique par le biais du référendum populaire du 29 septembre, est toujours dans l'attente de mesures concrètes, apparues plus difficiles à réunir que prévu. Si le terrain politique n'a pas opposé de grandes résistances à Bouteflika, le champ économique s'avéra en revanche plus coriace. Peu de réformes ont été lancées et rares sont celles qui furent menées à terme, souvent en raison de manque de volonté politique ou de persévérance dans la mise en route. Les investisseurs étrangers, qui ne se bousculent pas aux portes de l'Algérie, mettent en avant le « mauvais climat des affaires » et « l'absence de lisibilité de la vie politico-économique », un point de vue que partagent les hommes d'affaires algériens. Le commun des citoyens s'interroge quant à lui sur cette richesse soudaine de l'Etat algérien tirée des revenus du pétrole qui ne sert pas à améliorer le niveau de vie des populations. Nombre de citoyens le disent publiquement et régulièrement, mais dans la rue en recourant à la technique de l'émeute. Du fait du cumul des responsabilités et de son poids écrasant dans le champ politique, Bouteflika est devenu presque la seule clef qui ouvre toutes les portes. La maladie qui l'affecte aujourd'hui peut bien être une des retombées du poids écrasant de ses responsabilités et des tâches énormes à accomplir, même si le destin et l'histoire semblent l'avoir comblé aujourd'hui, après une traversée du désert d'une vingtaine d'années très mal vécue. Celle ci a suivi une éviction infamante de la sphère du pouvoir, au moment même où il était, politiquement et psychologiquement, en position de succession au président Boumediène dont il admirait la personnalité intraitable et autoritaire, deux traits de caractère qu'il a fini par faire siens.