La saga des rois numides est un nouveau titre qui vient enrichir la Bibliographie nationale relative à l'histoire du Maghreb antique. Messaoud Djennas, qui en est l'auteur, ambitionne de combler les lacunes du lecteur en la matière et de lui inspirer «le sentiment d'appartenir à un peuple dont l'histoire plonge ses racines dans un très lointain». L'ouvrage vient à point, tant sur la période considérée, où les fables les plus farfelues circulent sur tous les supports, en particulier sur le Net à travers les interrogations et les affirmations qui y circulent et qui expriment un légitime désir à s'identifier à un «salaf» numide à l'aura quasi mythologique. Le sous-titre de l'ouvrage, Entre Carthage et Rome, avertit que la question ne pouvait être abordée que sous cet angle. En ce sens, l'approche de Messaoud Djennas n'innove en rien par rapport à ce qui est écrit sur le sujet, tant il a été répété que la Numidie n'est entrée dans l'histoire qu'à la faveur des guerres puniques. Mais l'originalité n'était pas l'objectif du docteur Djennas, ophtalmologue réputé, un féru d'histoire à la remarquable érudition et un conteur accompli. Il plante le décor en deux chapitres par lesquels il passe en revue les caractéristiques géographiques, le peuplement de la région et le cadre historique de la période ciblée. Au troisième chapitre, soit les 2/3 de l'ouvrage, il traite du cœur du sujet. Cependant, parce que fruit d'une compilation, La saga des rois numides n'a pas dérogé aux travers de ses sources bibliographiques, cela bien que l'auteur ne les ignorait pas. Il rappelle d'ailleurs fort à propos les critiques d'Abdallah Laroui à l'endroit d'hypothèses les plus farfelues imposées comme des vérités acquises sur notre passé antique. Pour rappel, dans son essai de synthèse L'histoire du Maghreb, Laroui souligne les difficultés d'utilisation des trois principales sources en rapport à ce passé. Tout d'abord, les inscriptions libyques sont toujours indéchiffrables et jugées a priori pauvres en renseignements. Ensuite, les sources littéraires gréco-latines sont allusives et difficiles à interpréter, en raison en particulier de leur prédilection pour le paradoxe et l'exotisme. Enfin, les sites archéologiques sont à l'abandon. Le reproche qui peut être fait à Messaoud Djennas, bien qu'averti en cela, est d'avoir accordé un large crédit aux sources littéraires et à leurs extravagances. Pis, il assume ce choix. Ainsi, en page 50, en rapportant la fable relative à la création de Carthage, il assène qu'en raison de l'inexistence d'une version plus crédible, «celle-ci fait donc force de loi, c'est-à-dire, de vérité historique». Mais si une aussi curieuse légende ne peut abuser le lecteur avisé quant à sa véracité, cela est moins évident lorsque l'auteur en étale d'autres où la mythologie emprunte au romanesque. Ces fictions, comme en pages 123 à 126, sont la flagrante traduction du fait que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, Syphax ayant été un vaincu. Les dévalorisants jugements qu'elles véhiculent sont reformulées par l'auteur sous une forme jugée moins offensante pour la mémoire de l'illustre aguellid. Par ailleurs, le fait d'installer Sophonisbe comme moteur de l'histoire dans la défaite de Syphax, occulte l'antériorité du conflit entre Massyles et Masaesyles, car bien avant son mariage avec elle, Syphax disputait, même du temps du père de Massinissa, l'hégémonie sur la Numidie. Quant à l'alignement de Syphax sur Carthage durant la deuxième guerre punique, cause de sa défaite, il est comme à l'accoutumée à l'opposé du positionnement de Massinissa qui, lui, pour l'occasion, s'est fait en faveur de Rome. Ces alignements s'inscrivent en droite ligne des alliances toujours antagoniques des Massyles et Masaesyles avec Rome et Carthage. Cependant, nonobstant cette réserve en rapport à Syphax, La saga des rois numides s'avère un bon outil de vulgarisation selon l'objectif déclaré de son auteur.