Maîtres Hacène Belarif et Youcef Dilem, avocats de Chouaib Oultache, contestent l'accusation d'homicide volontaire avec préméditation. - Votre mandant, Chouaib Oultache, passera incessamment devant le tribunal criminel pour homicide volontaire avec préméditation. Contestez-vous toujours la version contenue dans le dossier judiciaire ? Dès le début nous avons contesté l'orientation de l'enquête et de l'instruction. Leur vérité n'est pas la nôtre. Nous allons demander la présence d'une liste de témoins, qui vont battre en brèche les expertises de la police judiciaire mais également l'instruction judiciaire. Il s'agit d'experts en balistique, en biologie et de médecins légistes qui vont surprendre tout le monde et lever le voile sur les contrevérités.
- Remettez-vous en cause la thèse de l'acte isolé ? Le problème n'est pas là. Oultache reconnaît avoir tiré dans les circonstances qu'il a bien décrites. Il a tiré sur le côté droit du défunt Ali Tounsi, qui tenait un coupe-papier dans sa main droite. Il n'a jamais tiré sur la tête de la victime. Un fait qui peut être facilement démontré. Il affirme avoir tiré cinq balles, dont une en sommation au plafond, les impacts visibles le prouvent, et quatre balles sur le flanc droit. La victime porte deux impacts de balle dans la tête qui ne proviennent pas de l'arme de Oultache. - Voulez-vous dire que les balles qui ont tué Ali Tounsi ne sont pas celles de Oultache ? La police judiciaire elle-même a battu en brèche la thèse qu'elle a avancée. Elle ne peut retrouver quatre balles intactes dans le barillet du Smith de Oultache et, en même temps, retrouver deux projectiles dans le bureau et un autre retiré du corps de la victime, sachant que l'arme ne peut contenir que six balles. Ce qui me pousse à dire qu'il y a une lourde suspicion sur l'enquête et l'expertise de la police…
- Selon vous, quelqu'un d'autre aurait tué Ali Tounsi ? A la lumière des éléments que nous avons, il est impossible que Oultache ait touché le défunt à la tête. Il l'a grièvement blessé et d'autres l'ont achevé.
- Qui, à votre avis ? Je ne sais pas. Néanmoins, je peux affirmer qu'après que Oultache ait été grièvement blessé, inconscient et affaissé sur une chaise, il y a eu de nombreux tirs dans le bureau de Tounsi où 32 impacts de balles de calibres différents ont été relevés et en plusieurs endroits. Pourquoi tous ces tirs ? Ce n'est certainement pas pour maîtriser Oultache, il était déjà blessé, affaissé sur une chaise, en train de perdre son sang, inconscient. - Pensez-vous qu'il puisse y avoir un lien direct ou indirect avec la crise qui a envenimé les relations entre le défunt Ali Tounsi et l'ex-ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni ? Je représente la défense de l'accusé. Je ne m'appuie que sur les faits qui lui sont reprochés. La relation entre feu Ali Tounsi et Yazid Zerhouni peut éventuellement être mise en relief à travers une enquête sérieuse. Il y a des points d'interrogation énormes qui pèsent sur le dossier. Par exemple, le cas des coffres-forts du bureau de la victime ouverts avec une tronçonneuse, en violation des règles du code de procédure pénale. Il est quand même bizarre que ces coffres, qui devaient contenir des documents et objets confidentiels relevant du secret de la sûreté et dont les clefs devaient logiquement être entre les mains de l'homme de confiance de Ali Tounsi, en l'occurrence son secrétaire particulier, aient été ouverts de la sorte. Cette mise en scène doit cacher des choses, parce que même les brigands n'utilisent pas ces procédés pour ouvrir un coffre. - Récusez-vous la préméditation ? Tous les éléments que j'ai en ma possession n'ont pas conclu à la préméditation. C'était un concours de circonstances malheureuses. Il y a eu un échange de propos assez durs, le défunt s'est levé avec un coupe-papier à la main et les évènements se sont bousculés de manière dramatique. D'ailleurs, la chambre d'accusation ne retient comme mobile que l'altercation entre les deux protagonistes.
- Et sur quoi portait-elle ? Sur l'état d'avancement des projets de réalisation engagés dans le cadre de la modernisation des services qui dépendaient de Oultache. Ces projets, faut-il le préciser, faisaient l'objet de beaucoup de résistances. Des groupes d'intérêt échauffaient les esprits à travers des intimidations, des plaintes, des lettres de dénonciation, la protestation… - Pensez-vous que l'information publiée le jour même de l'assassinat de Tounsi, sur la suspension de Oultache, faisait partie de cette guerre ? Oultache ne lit pas la presse arabophone, mais Ali Tounsi, avait eu écho de cette information par le biais de ses cadres, qui lui en avaient fait une traduction. Mais cette affaire est absolument incohérente. On a essayé de faire accréditer la thèse d'une collusion d'intérêt entre les deux hommes, mais rien n'est vrai…
- Pourtant, il y a l'affaire ABM, cette société qui appartient au gendre de Oultache, concernée par une enquête et qui a obtenu des marchés auprès de la Sûreté nationale… ABM appartient à 99% à Antri Bouzar. Le gendre de Oultache y travaille en tant que directeur général adjoint chargé de l'organisation. En cette qualité, il détient 1,2 pour 1000 des actions. Sa quote-part est vraiment infime pour pouvoir dire qu'elle lui appartient. L'enquête sur cette affaire est toujours en cours et aucun élément susceptible de la lier à l'assassinat de Ali Tounsi n'est encore établi. Il faut préciser que Oultache, son équipe et l'ensemble des représentants des structures de la DGSN font partie de la commission d'évaluation technique des offres qui siège au niveau de sa direction. Ils établissent un tableau comparatif des soumissions et le transmettent à la direction générale de l'administration, qui décide du choix de l'offre en tant que service contractant. L'opération est très simple : il suffit de voir les soumissions et d'enquêter sur les marchés pour constater s'il y a eu ou non des privilégiés. - Telle que l'enquête a été menée, selon vous, il ne faut pas s'attendre à l'éclatement de la vérité ? Ce n'est pas certain. Avec le manque de fonctionnement de la justice, rien n'indique que la vérité soit connue. L'affaire est symptomatique de l'arbitraire de la police et de l'instance judiciaire. Nous n'avons pas cessé de dénoncer les violations grossières de la procédure aussi bien au niveau de l'enquête préliminaire de la police judiciaire et de l'expertise qu'au niveau de l'instruction judiciaire et de l'examen par la chambre d'accusation. Celle-ci n'a répondu à aucun de nos moyens de droit soulevés. L'arrêt qu'elle a rendu est un chef-d'œuvre de confusion et d'évacuation de la notion de droit. On pensait que la Cour suprême, pour l'honneur de la justice, avait le devoir de réformer l'arrêt ne serait-ce que pour sa présentation. Mais hélas, la Cour suprême a maintenu le déni de droit. La précipitation dans le traitement du dossier est vraiment symptomatique de la façon avec laquelle il a été orienté.