Le centre Cervantes d'Oran a organisé le 19 février un colloque sur le journalisme dans les temps difficiles. Nous y avons rencontré Ramon Vilaro, journaliste à Cambio16. Il évoque les évolutions du journalisme face aux nouvelles technologies. - Faut-il repenser le métier de journaliste avec l'apparition des nouvelles technologies ? Le métier change, comme la société. Les journalistes doivent s'adapter à ces changements. C'est la rapidité avec laquelle les journalistes doivent réagir face à une information qui pose problème, car cette rapidité empêche le recul nécessaire face aux événements. Si vous prenez le cas de WikiLeaks, il a fallu que quatre grands journaux dans le monde, El Pais entre autres et un hebdomadaire, analysent les faits et distillent les plus importantes révélations qui ont eu une incidence sur la chute de la dictature en Tunisie, quand les gens ont appris l'ampleur de la corruption de la famille Ben Ali. - Vous approuvez les révélations publiées par WikiLeaks. Pensez-vous que le site respecte la déontologie journalistique (recherche de la publication de la vérité, secret des sources, non diffamation…) ? Et quelle est son utilité ? Wikileaks est une très bonne chose parce qu'elle nous apporte des révélations inédites. Mais, encore une fois, il a fallu que des journalistes analysent ces informations et que des journaux acceptent la diffusion de ces révélations. Cela a été très positif pour les lecteurs et l'opinion publique. - On ne peut pas dire qu'Internet tue la presse… Je pense qu'Internet doit être perçu comme un allié de la presse écrite et non comme un concurrent. C'est la condition pour que les journaux continuent d'être lus. La désaffection du lectorat que connaît actuellement la presse a poussé les responsables des grands groupes de presse à réfléchir à des alternatives pour arrêter la chute des ventes. Parmi les solutions envisagées, il y a celle qui consiste à proposer deux offres distinctes : une presse écrite couplée à une offre Internet payante. Nous allons assister à la fin de la gratuité du net parce qu'une information de qualité coûte de l'argent. Il y a d'autres solutions envisagées par les grands groupes comme celle du magnat des médias Rupert Murdoch qui propose un titre, The Daily, un quotidien réservé exclusivement aux tablettes. Il n'existe donc aucune version papier, ni web de ce journal. - Quel est le rôle de la presse dans la transition démocratique en Espagne? La presse a joué un rôle très important dans la transition qu'a connue mon pays. Cela a commencé avec la sortie de l'hebdomadaire Cambio16, en 1973, pendant la dictature franquiste et cela s'est poursuivi après sa mort, avec la sortie du plus important quotidien espagnol, El Pais. Après la mort de Franco, tous les médias ont fortement appuyé la transition démocratique et se sont engagés dans la défense de la démocratie lors de la tentative du putch militaire qu'a connu l'Espagne le 23 février 1981. Ce jour-là, pendant qu'un escadron de putchistes occupait le Congrès, le journal El Pais sortait une édition spéciale avec en une ce célèbre titre : «Coup d'Etat : El Pais avec la Constitution». - Le journalisme citoyen est-il un danger pour la presse écrite ? Non. Au contraire, c'est un formidable allié. Puisque, à travers le citoyen, le journalisme est partout. Mais, évidement, il faut toujours des professionnels pour analyser le contexte et expliquer les faits. Disons que le journalisme citoyen peut-être perçu comme un complément du journalisme professionnel. - Vous défendez l'idée d'un journalisme engagé… Il n'y a pas de journalisme engagé, il y a simplement un journalisme de qualité. Il est évident que faire du journalisme d'investigation est déjà un journalisme engagé, de la même façon, par exemple, qu'un bon médecin est toujours un professionnel engagé. - Peut-on parler de liberté absolue dans le journalisme ? Difficilement, parce qu'au moment où vous choisissez de traiter une information, vous prenez déjà une position. Mais, comme toujours, le journalisme consiste à voir, vérifier et écrire, même si, parfois, on sait que ce que nous allons publier ne va pas plaire à tout le monde. Le journalisme n'est que le reflet de la société.